La vérité sur le report de la fin des cookies tiers à 2024
Le 27 juillet 2022, Google a fait l’annonce que son bac à sable (sandbox) pour la gestion de la vie privée aura besoin d’être testé plus longtemps.
En effet, les cookies tiers seront mis au rencart à partir de l’an 2024 au lieu de 2023. Les publicitaires et les sites de commerce électronique auront donc une année supplémentaire pour s’adapter à un monde sans cookies tiers.
Bien entendu, cette nouvelle importante ne vient pas sans controverse. Devant un tel revirement de situation, plusieurs se demandent quelles sont les « vraies » raisons derrière ce report.
Y aurait-il anguille sous roche?
Une nouvelle n'attend pas l'autre
Quelques jours après cette première annonce, une deuxième est venue remuer la communauté des publicitaires AdTech.
Le 3 août dernier, Digiday a révélé des détails à propos d’une prétendue plateforme DSP d’Apple. Depuis, le bourdonnement dans l’industrie a carrément explosé.
Rien pour atténuer la curiosité générale, plusieurs estiment que le lancement d’une nouvelle plateforme par Apple pourrait être l’extension stratégique d’un événement survenu plus tôt cette année. En effet, lors de la nouvelle mise à jour de sa politique de confidentialité sur iOS, Apple a vu la capacité des annonceurs à cibler l’identifiant iPhone être réduite presque à néant. Cela avait suscité une vive réaction de la part de Facebook, qui avait déclaré que ces changements pourraient lui coûter jusqu’à 10 milliards de dollars, et ce, seulement pour l’année 2022. La guerre des données bat son plein1.
On ne sait pas pour l’instant si un éventuel successeur à iAd desservirait uniquement les propriétés d’Apple ou s’il prendrait aussi le chemin de Google, ce qui aurait pour effet d’offrir un vaste réseau réunissant toutes les propriétés web sous l’influence du géant de Cupertino. Pour tenter d’en avoir le cœur net, certaines personnes s’amusent à disséquer une offre d’emploi d’Apple afin d’y déceler des indices.
La machine à rumeurs est bien en marche
Chose certaine, la combinaison de ces deux annonces fait beaucoup jaser. Peut-être même un peu trop.
En effet, on s’interroge ici et là à savoir si la véritable raison du report de Google Chrome ne serait pas due au fait que la version finale de Google Analytics 4 (GA4), qui remplacera Universal standard à partir de juillet 2023, ne serait pas encore tout à fait au point.
Ailleurs, d’autres se demandent si la manœuvre n’est pas justement une façon pour Google de repousser la fin des cookies tiers, voyant que sa plateforme phare en analytique marketing, qui carbure encore en partie aux cookies tiers (pour les données publicitaires), n’est pas prête à affronter le prétendu nouveau DSP du « grand méchant Apple ». La prémisse derrière cette rumeur est que les plateformes d’Apple possèdent énormément de données primaires concernant leurs utilisateurs. Un DSP d’Apple pourrait donc, en théorie, se brancher nativement au propre nouvel API d’Apple d’attribution et fournir des capacités de ciblage et d’attribution publicitaire à plus grande échelle, rivalisant fortement celles de Google. Dans les faits, en comparaison avec Facebook et Amazon, Apple est le seul concurrent de Google ayant de la donnée primaire multi-plateformes et multi-appareils à si grande échelle. En ce sens, le raisonnement derrière cette rumeur a un certain fondement.
Sachant que GA4 est une solution en partie conçue pour préserver la mesure de performance dans un monde sans cookies; une solution qui, de surcroît, est intégrée à la principale vache à lait de Google (Google Ads), on peut facilement comprendre que surgissent de telles questions.
D’un autre côté, comme on peut s’y attendre, les changements apportés par GA4 ne font pas l’unanimité au sein de la communauté.
Sur LinkedIn, on tombe malheureusement assez fréquemment sur des publications au sein desquelles des utilisatrices et utilisateurs se plaignent ouvertement de diverses fonctionnalités de la nouvelle mouture de GA.
Au-delà des théories du complot
Bien qu’il soit naturel que ces récents développements soulèvent un doute dans notre esprit, il faut malgré tout faire attention et ne pas trop nous laisser emporter par la vague de spéculation entourant l’annonce de Google, sans quoi on risque de verser du côté des théories du complot mal informées.
Dans le cas du report de la disparition des cookies tiers à 2024, il n’y a pas lieu de croire qu’il existe véritablement une quelconque relation entre cette annonce et la mise au point de GA4, ni un lien avec le lancement fort probable d’une nouvelle DSP par Apple.
Le fait est que le nouveau bac à sable de confidentialité de Chrome ne sera tout simplement pas prêt d’ici janvier 2023. Le bêta-test de cette nouvelle technologie est présentement offert à des milliers d’utilisateurs. Cette phase d’expérimentation est essentielle à sa mise au point en vue de son éventuel déploiement à grande échelle. D’après les logs des utilisateurs tests, il y a encore plusieurs irritants avec cette version de Chrome plus sensible à la confidentialité.
L’arrivée de GA4 et la disparition des cookies tiers provoqueront, faut-il le rappeler, un changement de paradigme majeur dans notre industrie. Il n’est donc pas étonnant qu’ils engendrent également leur lot d’enjeux techniques.
Une question d’adaptation
À la lumière de cet énorme changement technologique, la vraie question à se poser est, pourquoi les ingénieurs de Google Chrome ont-ils fait montre d’une ambition démesurée en annonçant d’abord la fin des cookies tiers en 2022, puis en 2023, pour la reporter une fois de plus à 2024?
Peu importe la réponse, au fond.
Même si nous en venions finalement à voir la fin des cookies tiers sur Chrome advenir en 2026, le laps de temps serait encore bien court pour nous adapter adéquatement à un si grand changement au sein de la culture marketing technologique.
Au lieu de tenter d’élucider le mystère entourant les causes putatives du report de l’apocalypse, les publicitaires et les spécialistes AdTech devraient plutôt célébrer cette période de grâce : un an de plus, ce n’est définitivement pas un an de trop, bien au contraire!
Rien ne change pour GA4
En ce qui a trait à GA4, pour le moment, rien n’a changé. L’ancienne plateforme deviendra obsolète en juillet 2023 pour la version standard et en octobre 2023 pour la version 360.
Ne laissez pas le vacarme des spéculations éloigner votre attention de la feuille de route qui vous permettra d’affronter un monde sans cookies tiers. Assurez-vous de commencer par l’implémentation optimale de votre instance GA4 et de vous familiariser avec toutes ses nouvelles subtilités.
Même si, dans sa forme actuelle, la plateforme n’est pas parfaite, elle offre néanmoins des options très prometteuses, qui hausseront éventuellement d’un cran la maturité analytique des experts et des expertes en marketing numérique et en e-commerce. Pensons, notamment, à la possibilité de migrer votre pratique analytique client 360 vers le cloud dans BigQuery.
Pour ce qui est de la possible entrée en scène d’une nouvelle DSP propulsée par Apple, son impact ne serait pas aussi important que nous pourrions le croire. En effet, même si la pomme géante devait adopter une approche contradictoire (en exploitant les données privées de leurs utilisateurs qu’ils ont juré protéger avec les récents changements), les données recueillies, aussi attrayantes soient-elles, demeureraient isolées, colligées dans un système « en silo », tout comme c’est le cas pour les données publicitaires provenant d’autres plateformes (Google, Facebook, Amazon, etc.).
La seule façon de réellement pérenniser la mesure omnicanale de vos campagnes d’acquisition à venir, c’est de vous adapter dès maintenant en adoptant un modèle de segmentation et d’attribution capable de percer ces silos.
1Pour celles et ceux que le sujet pourrait intéresser, en 2018, j’ai cosigné avec mon directeur de thèse un très long article sur le site web académique The Conversion à propos de la « guerre des données » opposant Apple à Google. Dans ce texte, j’exposais justement les nombreux conflits d’intérêt commerciaux entre ces deux géants technologiques. Quatre ans plus tard, il demeure tout aussi indéniable que le facteur concurrentiel et la quête insatiable des parts de marché du GAMAM (anciennement GAFAM) jouent un rôle important dans toutes ces décisions.