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Entrevue avec Jérémie Lévi, concepteur expérience utilisateur : le UX au delà-du design
1L’art de la gestion de projet2Un projet à succès commence par une bonne gouvernance3Cascade, agilité, demandes de changement?

Entrevue avec Jérémie Lévi, concepteur expérience utilisateur : le UX au delà-du design

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Tête-à-tête Expérience client & UX Opinions Stratégie d'affaires

Un des grands avantages de travailler en agence lorsqu’on a soif d’apprendre, c’est d’être entourée d’un nombre impressionnant d’experts tous plus inspirants les uns que les autres. Ponctuellement, je m’entretiendrai avec l’un d’eux pour vous partager leurs plus récents constats et découvertes, et obtenir un point de vue unique sur l’avenir du numérique.

Ce mois-ci, j’ai rencontré Jérémie Lévi, concepteur UX/UI senior. Designer web de formation, c’est depuis 2009 que Jérémie évolue dans cet univers de création numérique. Il a notamment travaillé tant du côté annonceur que du côté conseil, au sein d’entreprises telles que Ricardo, Globalia et FLY Conseils. Jérémie a rejoint notre équipe d’expérience client en 2018.

La science derrière le design

C’est un plaisir de m’entretenir avec toi Jérémie! Commençons par le début, ou plutôt par ce qui peut arriver en fin de journée : comment expliques-tu dans un 5 à 7 ce que tu fais dans la vie, concrètement?

Je fais des sites! (Rires.) Souvent, j’aborde mon parcours de designer graphique, suivi de designer web, puis mon évolution vers le design UX. J’entends souvent : «Ah! Tu fais du dessin!» Non. On peut dire que ma job s’apparente à celle d’un architecte qui dessine les plans de la maison. C’est vraiment de la conception plus que de la production.

Qu’est-ce qui t’as amené à faire ce que tu fais aujourd’hui? Comment expliquerais-tu ton parcours en quatre phrases?

Transformons les quatre phrases par quatres étapes, si tu veux bien!

Un jour quand j’étais plus jeune, mon père a ramené un ordinateur à la maison. Un beau cadeau! La première chose que j’ai fait, c’est un dessin sur Paint, que j’ai imprimé et offert à ma mère. (Rires.)

La deuxième étape a été la découverte du métier de designer graphique, que je ne connaissais pas à l’époque où j’étais encore au secondaire. À ce moment-là, ce métier était très artistique, très orienté sur le beau et l’esthétique.

Puis, la troisième étape a marqué le début d’une spécialisation en web, un plongeon tout droit en numérique. À cette étape, je faisais du design web esthétique, mais pas encore forcément pratique pour les utilisateurs.

Finalement, il y a trois ans, je me suis intéressé au métier de designer UX, qui mise à la fois sur le beau et sur le bon. Alors voilà d’où je viens!

Quelle serait ta plus grande force, en tant que designer UX?

Dans la catégorie soft skills, je te dirais que la vulgarisation est vraiment un de mes points forts!

As-tu des exemples?

Oui, juste expliquer ce qu’est l’expérience utilisateur. Parfois, les clients et collègues, et même certains designers UX, n’ont pas une compréhension globale de ce que c’est. Cette capacité à transmettre des connaissances et les mettre en application est très importante pour générer de la valeur auprès des clients. Laisses-moi te dire que le contact client n’est pas un trait si commun que ça chez les designers! (Rires.)

Comment pourrait se traduire concrètement un accompagnement client?

Les ateliers de design thinking, une pratique que nous avons récemment déployée pour nos clients, sont particulièrement efficaces.

Quelle forme ça prend exactement?

On commence par identifier une problématique. Elle peut être très précise ou plus haut niveau. Par exemple, comment optimiser une page d’abonnement. Les ateliers collaboratifs sont conçus pour ne pas avoir recours aux technologies, misant seulement sur un tableau blanc, des feutres et des post-its. Ainsi, on laisse vraiment place à l’empathie et la créativité plutôt qu’à l’exécution, le design joue un rôle plus stratégique. C’est alors qu’on plonge vraiment dans le UX. On soulève les besoins des utilisateurs issus d’insights obtenus à partir de différents outils de mesure. On cerne les éléments qui pourraient être optimisés sur la page.

Ainsi, on peut, en deux heures dans une même salle, régler des problématiques qui prendraient généralement deux à trois semaines en travaillant chacun de son côté. C’est de la co-création et les clients aiment ça!

Quelle expérience a été ton plus grand tremplin?

Ce n’est pas vraiment une expérience mais plutôt une rencontre qui m’a propulsé vers l’expertise que j’ai aujourd’hui. Et j’ai la chance d’avoir cette personne comme chef d’équipe chez Adviso aujourd’hui.

Tu parles de Sébastien Tremblay!

Sébastien est une personne qui a beaucoup influencé ma façon de voir le design, de comment y amener un côté plus stratégique. C’est lui qui m’a orienté vers le design UX, qui m’a fait réfléchir sur mes pratiques, pour le mieux évidemment! (Rires) Il m’a sensibilisé à tout ce qui est inbound marketing, voire au marketing web au sens large. On s’entend, demander à un designer graphique d’utiliser Google Analytics pour faire du design, c’était pas vraiment envisageable il y a quelques années. Et maintenant, c’est pratiquement devenu obligatoire pour faire du bon design UX!

Est-ce que tu dirais que cette philosophie de design beau et bon est chose courante pour les professionnels du marketing?

Bon, le design UX est quand même assez récent. Si on parle de tests A/B, de tests utilisateurs, de recherches utilisateurs, certains professionnels, plus néophytes, peuvent rapidement s’égarer. Ces réflexes, à mon avis essentiels à la création d’un bon site, ne sont pas encore ancrés dans toutes les pratiques de l’industrie, malheureusement.

Pourtant, il y a quand même quelques années que le terme UX a fait son apparition, non?

Ça fait longtemps! Récemment, ce qu’on voit, c’est qu’on ajoute du UX à toutes les sauces. Par exemple, UX writer, UX developer, on l’associe partout. Mais au final, quelque chose de UX, c’est quelque chose de pratique pour les utilisateurs. Et cette dimension pratique est relativement récente. Par exemple, le UX writing, c’est écrire pour les utilisateurs, c’est leur donner la bonne information au bon moment, comme la gestion des messages d’erreurs par exemple.

Les besoins des utilisateurs avant tout

Question à la fois très simple et très complexe : qu’est-ce que l’expérience client (CX)? Est-ce comparable au service à la clientèle?

C’est éloigné et à la fois proche du concept de service à la clientèle. Ce que notre équipe cherche à faire, c’est de conseiller nos clients pour qu’ils donnent le maximum à leur clients à eux, finalement. Par donner le maximum, j’entends tout que ce qui comprend les contacts avec les clients ou potentiels clients, à la fois ce qu’ils vont vivre en naviguant sur le site web ou encore les retours de commande en ligne sans frustration, par exemple. C’est ça le rôle de quelqu’un qui travaille en CX, en expérience client : offrir une expérience irréprochable aux clients et prospects dans leurs points de vente, physiques ou numériques.

Quel serait le plus grand défi à cet égard, selon toi?

On pense à Sears, à tous ces grands centres commerciaux qui ferment parce que le web s’immisce de plus en plus dans les habitudes d’achat des gens. Voilà pourquoi l’expérience client est au devant de la scène depuis quelques années.

Petite anecdote : lorsque j’ai acheté mon premier iMac dans un Apple Store, il y avait littéralement 10 vendeurs qui s’étaient réunis à la sortie pour m’applaudir! L’expérience, c’est de donner de l’importance au client, qu’il se sente accompagné tout au long du processus d’achat et même après.

Et donc, je reviens sur l’idée des magasins qui ferment. Une boutique qui offre une expérience client à la hauteur de ses attentes va nécessairement générer du trafic en magasin. Idem pour le web, un site ou une application. On ne vend pas un simple produit, on vend une expérience. C’est de ça dont ils se souviendront : des gens qui applaudissent, pas de l’ordinateur acheté.

Comment expliquerais-tu le retour sur investissement des budgets en CX? Quel discours devrait tenir un gestionnaire marketing pour convaincre la haute direction?

Vendez-vous votre produit ou votre service à vous-même ou à vos clients? Si vous vendez à vos clients, adaptez-vous à vos clients. L’expérience client n’est pas une dépense, c’est un investissement qui doit faire partie à la fois des budgets marketing et ventes. C’est-à-dire qu’il y a des efforts qui doivent être mis en marketing pour attirer des gens, mais les ventes ont un rôle important là-dedans, c’est ce qui va faire qu’un site web sera plus compétitif qu’un autre finalement. C’est grâce à une bonne expérience client qu’on arrive à se distinguer de sa compétition. Je vous invite à lire cet article d’Hubspot au sujet du retour sur investissement en CX.

L’expérience client, ça se mesure!

Quelles sont les différentes expertises en CX, outre le UX?

Le CX est rattaché à tous les points de contacts d’une marque avec ses clients actuels et potentiels. Alors on va aller chercher une stratégie de marketing relationnel, comment créer une relation avec ces clients, que ce soit par courriel ou grâce à un programme de fidélisation. Puis il y a aussi tout ce qui est optimisation de site web pour obtenir plus de résultats, et évidemment accompagnement à la refonte de sites web, d’un point de vue stratégique.

Donc beaucoup de spécialisations, beaucoup d’outils, beaucoup de plateformes, beaucoup de philosophies et encore plus de fonctionnalités. Comment s’y retrouver?

Travailler en expérience utilisateur est une expérience en elle-même. De façon heuristique, il y a des bonnes pratiques, mais en faisant un peu de recherche utilisateurs, en faisant des tests, on en apprend tous les jours sur notre métier. Certains utilisateurs vont nous donner des insights auxquels on aurait jamais pensé même si on était 10 autour de la table. Maîtriser une expertise n’implique pas nécessairement qu’on connaît tous les besoins des utilisateurs.

Comment choisir les outils avec lesquels on va travailler?

Ça dépend du besoin. On a différents outils de tracking UX, de heatmaps, de feedback utilisateurChez Adviso, nous essayons de rester technologiquement agnostique. On peut donc récolter les données qualitatives sur des outils comme Hotjar, CrazyEggs, LuckyOrange et Zoho PageSense. Pour tout ce qui est quantitatif, on utilise majoritairement Google Analytics.

Quand est-ce que tu as appris à travailler avec Google Analytics?

Récemment. (Rires.) Les données issues de GA sont importantes parce qu’elles permettent de compléter l’analyse comportementale lors de recherches utilisateurs.

Comment expliquerais-tu la différence entre données qualitatives et quantitatives en UX?

Qualitatif, c’est ce qui n’est pas ou presque pas mesurable avec des chiffres, donc un comportement pourrait être par exemple, les clics d’un utilisateur à différents endroits sur une page. Le mouvement d’une souris n’est pas quantifiable. On ne dit pas qu’elle est passée du point X au point Y, on le voit sur un enregistrement vidéo. En revanche, les données quantitatives nous indiquent le pourcentage de visites mobiles et desktop, le taux de rebond, etc. Donc, on mélange tout ça et pour avoir une bonne idée de comment orienter la conception.

Pour aller plus loin en UX et CX

Jérémie, si on a envie d’en savoir plus sur le sujet, que recommanderais-tu?

Lire! En français, je dirais la deuxième édition du livre de Carine Lallemand, sortie fin 2018, est une vraie bible des meilleures pratiques en UX, tout autant que son blogue, d’ailleurs! Autrement, en anglais, il y a la plateforme Medium, surtout les pages de UX Planet et UX Collective, qui rassemblent une quantité phénoménale de contenus sous des grands thèmes autour de l’expérience utilisateur. On y retrouve autant des outils, des réflexions sur l’actualité, que des études de cas. Et évidemment le blog de Nielsen Norman Group, un classique. Côté CX, je recommanderais le blogue d’HubSpot, qui ne traite pas uniquement d’expérience utilisateur, mais aussi de tout le volet marketing et ventes.

Y a-t-il une infolettre qui change ta vie à tous les jours?

Sidebar.io est une très bonne infolettre sur le design web au sens large, et avec beaucoup de contenus sur le UX spécifiquement. D’ailleurs, j’y ai lu un article qui annonçait la fin du responsive design… Et qui expliquait qu’on ne devrait plus avoir à préciser que le design est responsive, que tout design devrait être responsive aujourd’hui! (Rires.)

Justement, parlant de tendances, lesquelles seraient à surveiller dans les prochaines années? Envers quoi les entreprises devraient-elles être particulièrement attentives?

Je dirais qu’il y a une chose et demie : dans un contexte de stratégie ou de conception de site web, les entreprises devront, de un, miser sur la personnalisation, et de demi, commencer à y greffer de l’intelligence artificielle.

Qu’est-ce que ça représente l’intelligence artificielle en UX?

L’intelligence artificielle est une excellente façon d’aller chercher du feedback utilisateur, par exemple. Une intelligence, il faut lui apprendre des choses. Ça reste un algorithme qu’on doit faire évoluer, qu’on doit nourrir.  

Par exemple, cette photo, est-ce que tu l’aimes? Oui ou non. Tu as acheté le produit rouge ou le produit bleu? Si tu as choisi le bleu, il y a de fortes chances que tu préfères généralement le bleu. C’est avec des informations de ce genre que l’intelligence va arriver à personnaliser l’expérience des utilisateurs. Tu me suis?

Cent pourcent.

Je disais « et demie » parce que l’intelligence artificielle reste relativement peu comprise. On en parle beaucoup en ce moment, mais dans les processus de conception de sites web, dans les façons de faire, on y est pas encore, mais vraiment pas.

Bref, tout le monde en parle mais personne ne le fait. C’est comme le sexe au secondaire finalement! (Rires.)

On est là-dedans. On cherche à comprendre comment offrir une meilleure expérience. D’abord, il y a la personnalisation. Ça, on peut déjà le faire, il y a plusieurs outils connus qui offrent des solutions en ce sens, comme Hubspot avec des contenus intelligents qui changent selon les personas et les parcours clients.  

Et donc le plus d’information on a sur ces personas, le meilleur contenu on peut offrir! C’est donc relié avec le concept de vue unifiée du consommateur, si j’arrive à faire les bons liens. D’ailleurs, l’expertise en CX semble être complémentaire à beaucoup d’autres en numérique. Nous avons parlé de marketing de contenu, de campagnes média, d’analytics, et j’en passe. Collabores-tu fréquemment avec les autres équipes?

De plus en plus, il faut! Tous les services devraient collaborer ensemble, particulièrement avec CX! (Rires.)

Finalement, ça reste une philosophie avant d’être une discipline, non?

Ouais, ça reste une utopie! (Rires.) C’est réalisable, mais l’expérience client devrait influencer beaucoup plus les façons de faire en général en numérique.

Merci Jérémie d’avoir partagé ton expertise avec nous!