JAMES FORBES : Qu’est-ce qu’un annonceur devrait faire dans le cœur de son entreprise ou dans le cœur au moins de son département d’achat média pour se dire : « Nous, on est prêt à aller de l’avant avec un éditeur local »?
JEAN-FRANÇOIS RENAUD : Un des défis, c’est qu’à un moment donné, tu ne peux pas gérer 28 réseaux quand tu fais un achat média. À moins de faire une méga campagne, tu vas vouloir gérer deux, trois, quatre canaux, sinon, c’est trop complexe. Souvent Google et Facebook sont un peu obligatoires, jusqu’à un certain point, dans beaucoup beaucoup de types de produits, en tout cas, ou de services. Alors, il reste souvent de la place pour un ou deux éditeurs. C’est un challenge supplémentaire.
Mais le point est que je pense que l’annonceur, s’il veut essayer de contribuer un petit peu à cet aspect, il peut dire : « Moi, j’exige qu’il y ait un certain pourcentage annuel de mes achats médias qui soit réservé à des propriétés de marques locales. » Je pense que ça peut être la façon simple de le faire. Peut-être pas pour chaque campagne. Parce que, mettons qu’il dit : « Je veux que 20 % de mes achats médias soient faits localement », il y a une campagne qui peut être à 10 % et l’autre à 30 %, ce n’est pas grave, mais si, à la fin de l’année, c’est un guideline qu’il s’est donné et qu’il le respecte, je pense que c’est quelque chose qui peut faire une différence. Puis, on peut être surpris du potentiel. Encore une fois, peut-être que si tu prends le temps de t’asseoir avec un éditeur et de créer un contenu qui est réellement excitant, que tu fais confiance à l’éditeur, qui lui connaît très bien son audience, tu as le moyen d’aller chercher quelque chose qui est même peut-être beaucoup plus performant que Google et Facebook, et aussi qui va être bon pour ton empreinte locale.
JAMES FORBES : Un bon résumé de ça c’est : rencontre directement les éditeurs, demande-leur ce qu’ils peuvent faire pour toi, regarde premièrement si leur audience convient avec l’audience que tu veux cibler et, après, c’est vrai qu’on peut être surpris.
JEAN-FRANÇOIS RENAUD : C’est toujours la pression de la performance, tu sais. Aujourd’hui, on est dans une logique où les résultats à la fin du mois ou du trimestre sont tellement importants. Pour ramener des ventes brutes, c’est sûr que de faire du remarketing, par exemple, pour ne pas entrer trop dans les tactiques, mais il reste que du remarketing sur Google et Facebook, ça marche bien! Mais tu n’es pas en train de bâtir de nouvelles audiences en faisant ça, tu es juste en train de milker tes audiences actuelles. Mais c’est sûr que le réflexe est souvent là : le bouton remarketing est toujours très proche parce que ça ramène de quoi remplir la fin de mois.
Mais la fin de mois, c’est pas ce qui t’amène tes revenus de l’année suivante. Je pense que c’est là qu’il faut que tu penses un peu plus long terme. Je pense que l’achat local va avoir une place qui peut être vraiment tout à fait privilégiée dans un plan média. Mais un autre des challenges, c’est la petite vision court terme, court-termiste, au niveau du retour sur investissement qui, je pense, menace à plein d’autres égards les annonceurs de toute façon.
FRANCIS DEVOY : Selon toi, quelles sont les menaces, à long terme, pour les éditeurs? Ce qui fait de plus en plus en sorte que les annonceurs ne désirent plus acheter localement?
JEAN-FRANÇOIS RENAUD : La principale menace, comme je le dis, c’est que les prix descendent, la compétition augmente, leurs parts de marché diminuent, les coûts de création de contenu augmentent, puis ils perçoivent parfois un petit peu trop que Google et Facebook sont leurs amis et [qu’ils ne sont] pas nécessairement des menaces pour eux. Il y a beaucoup de signaux importants qui sont dangereux pour eux et, ultimement, la menace, c’est quoi? Bien, c’est que les éditeurs ne soient plus capables de fournir le contenu qu’ils doivent fournir.
Il y en a des signes : des éditeurs qui ferment, des éditeurs qui vendent à rabais, des éditeurs qui deviennent des organismes sans but lucratif et qui commencent à demander des dons sur leur plateforme. Ce sont quand même des exemples éloquents qui démontrent la pression qu’il y a sur le marché actuellement.
FRANCIS DEVOY : Au niveau des annonceurs, Jean-François, ça serait quoi les menaces, par exemple, de vraiment mettre tous les œufs dans le même panier : aller vers le duopole Google et Facebook?
JEAN-FRANÇOIS RENAUD : En économie, n’importe quel duopole crée une augmentation des prix. Déjà, en voilà un. Deuxièmement, ça crée une dépendance envers deux canaux qui, à partir du moment où ils t’en donnent moins pour ton argent, te causent un problème.
Je regardais Google : en ce moment, ils vont souvent remplacer les services offerts par certains éditeurs. Si on regarde en cinéma, par exemple, tu vas chercher le nom d’un film et puis, soudainement, tu vas avoir l’horaire directement dans la page de résultats de Google. Alors, tu ne te rends plus sur le site qui, lui, fait son argent avec de la publicité quand les gens vont le visiter. Google a fait ça à plusieurs industries : la météo, le cinéma, le sport, plein de sites informationnels, les sites de nouvelles. C’est le genre de choses [dont on dépend] quand on met ses œufs dans le même panier. Dépendre trop de n’importe qui est toujours un problème. Être dans une économie où il n’y a pas assez d’offres est toujours un problème. C’est aussi simple que ça! Ce sont des règles économiques de base qui sont devant eux.
Après, je pense que d’un point de vue de la performance, comme la population est sur Google et Facebook, ils vont, par contre, rejoindre leurs cibles. C’est plus d’un point de vue économique, je pense, qu’il y a un éventuel danger. En plus de la menace économique, je pense qu’il y a la menace de la dépendance aux données. On l’a dit au début, un peu plus tôt, que Google et Facebook étaient finalement des entreprises de données qui vendaient de l’espace publicitaire, mais que la raison principale pour laquelle on l’achète, c’est les données. Les annonceurs ont énormément de données qui leur appartiennent, on le sait, ce n’est pas toujours facile pour eux de les organiser, de les structurer, de les déployer dans leurs campagnes. Que ce soit leurs campagnes de courriels, leurs campagnes médias et compagnies. Mais, c’est la chose à faire! Parce que tant qu’ils ne feront pas ça, ils vont devoir être dépendants de données qui ne leur appartiennent pas, comme des données de Google et Facebook. S’ils ont des données vraiment bien structurées, ils vont être capables d’annoncer sur des propriétés locales tout en étant certains.
On va dire les vraies affaires : avant, quand tu voulais rejoindre des gens pour un voyage, par exemple, pour vendre un voyage, tu achetais la section La Presse Voyage. Mais tu avais beaucoup de gaspillage là-dedans. Là, on est capables de dire : « On va cibler des gens qui sont activement à la recherche d’un voyage, uniquement. » Donc, c’est quand même intéressant pour un annonceur. C’est comme de demander aux gens d’arrêter de penser que Uber existe et de retourner dans un taxi qui pue, qui prend juste du cash! Personne n’a le goût de retourner là! Ils ne retourneront pas là, les annonceurs! Il faut qu’ils soient capables d’avoir un contrôle sur leurs données. Après, ils vont être beaucoup plus aptes à aller sur n’importe quel éditeur et en obtenir une bonne performance. Ces données sont leur futur. C’est la donnée de leurs clients. S’ils n’organisent pas ces données, les annonceurs vont avoir d’autres types de problèmes de toute façon. Je pense que c’est une autre facette du problème : la dépendance à ces données qui ne leur appartiennent pas.