Les dix dimensions de l’expérience utilisateur
Malgré la complexité conceptuelle associée à l’expérience utilisateur (EU), celle-ci connaît un véritable engouement dans le domaine du Web. Cet engouement s’explique par le fait que l’expérience utilisateur renvoie à une réalité riche et large, qui met l’accent sur le résultat global de l’interaction avec un site Web plutôt que sur les moyens pris pour y arriver (ex. : nombre de clics, chemin de navigation, etc.). Le concept est vaste et complexe parce qu’il renvoie à plusieurs notions telles que la beauté, le plaisir et l’attachement. En effet, on admet généralement que l’expérience utilisateur est une extension du concept d’utilisabilité, ce qui implique donc l’existence de dimensions additionnelles.
Le mois dernier, je participais à la 15th International Conference on Human-Computer Interaction à Las Vegas pour y présenter un article sur les dimensions de l’expérience utilisateur. L’article résume les plus récents résultats d’une large étude qui vise une meilleure compréhension du concept et la construction d’un outil d’évaluation subjective permettant de dresser un portrait détaillé de l’expérience d’un utilisateur avec un produit interactif.
Les résultats de l’étude permettent de confirmer que les 10 dimensions identifiées sont utiles pour décrire le profil des expériences des utilisateurs avec des produits interactifs tels que les sites Web. Plutôt que de définir chaque dimension, nous allons illustrer celles-ci avec des extraits d’entrevues avec des utilisateurs.
Les 10 dimensions
Dimension fonctionnelle
Dropbox est une expérience positive pour moi parce que ça permet de simplifier l’échange de fichiers, le partage de liens Web, ça permet de simplifier la gestion de données entre deux ordinateurs. Avec Dropbox, tu mets tes données dans ton répertoire, tu as un « backup » dans le ciel, le cloud qu’on appelle, puis tu peux accéder à ces fichiers-là de n’importe quel ordinateur après.
(Sujet 28, EU positive avec l’application de bureau Dropbox)
Dimension utilisabilité
En premier lieu, il y avait beaucoup de mnémoniques qui n’étaient pas traduites en français […] alors ce n’est pas facile d’identifier le module dans lequel tu vas travailler sans les savoir par cœur. […] Des fois, tu pouvais démarrer une recherche dans SAP, tu appuies sur un bouton et il partait une recherche de lui-même sur les bases de données de la compagnie en entier, et avant qu’il te retourne un résultat, ça pouvait être long et tu ne pouvais pas changer ton écran.
(Sujet 19, EU négative avec le progiciel de gestion intégré SAP)
Dimension informationnelle
>Mr. Porter c’est un site de vente en ligne qui présente une grande partie de vente de produits, mais aussi une très grande partie, qui est une des raisons qui m’amène à le visiter aussi fréquemment, qui est du produit éditorial. Produit éditorial, qui est toujours relié aux produits, c’est certain que l’objectif principal c’est de vendre des vêtements et des accessoires, mais ils prennent une grande latitude au niveau du contenu éditorial pour s’assurer que les clients reviennent le plus souvent possible et qu’ils puissent voir un nouveau produit soit dans un article de journal, soit dans un petit vidéo.
(Sujet 3, EU positive avec le site Web Mr. Porter)
Dimension « caractéristiques physiques »
Elle est compacte, elle n’est pas lourde… Et puis, c’est ça en gros, tu peux la transporter n’importe où, ça ne prend pas de place, tu peux mettre ça dans ton sac à main.
(Sujet 6, EU positive avec une caméra vidéo)
Dimension « caractéristiques externes »
J’suis un gars de Apple, j’aime ça être associé à cette marque là. […] Mon iPad se « link » avec mon iPhone, mon mac, avec le iCloud… Avec Apple, ce qui est le fun, c’est que tu achètes un appareil, mais tu achètes l’univers aussi.
(Sujet 4, EU positive avec un iPad)
Dimension perceptuelle
Le bruit! Le bruit de la moto là…! Écoute, c’est incroyable le bruit que ça fait, un beau petit bruit grave qui finit juste à point. Je la trouve ma-gni-fi-que cette moto-là, c’est incroyable à quel point je la trouve belle. J’aime ça être dessus, j’aime ça sentir le vent, j’aime ça tourner la poigner, j’aime tout, j’aime la position de mon corps sur cette moto là.
(Sujet 14, EU positive avec une moto sport)
Dimension cognitive
Le but c’est de ne pas avoir à y penser et juste suivre la machine, et dans ce cas-ci, il a fallu vraiment que je me démerde pour réussir à trouver la solution. Je ne pouvais pas me fier sur la machine que je devais me fier et donc ça a trotté dans ma tête.
(Sujet 28, EU négative avec un GPS pour voiture)
Dimension psychologique
Quand je suis sur une moto, j’ai vraiment l’impression d’avoir une confiance que je n’ai pas normalement. Ça m’amène quelque chose en dedans de moi qui est ultra positif, ultra ultra positif, et ça se répercute dans ma vie en général. Depuis que je fais de la moto, on dirait que j’ai pris une autre vision des choses. Quand tu fais de la moto tu adhères à des pensées, tu adhères à des normes, tu adhères à un mode de vie aussi.
(Sujet 14, EU positive avec une moto sport)
Dimension sociale
Ce service-là se fie sur les autres utilisateurs… Donc, le côté négatif, surtout depuis que j’habite où je suis maintenant, les voitures sont souvent pas propres ou elles ne sont pas là à l’heure à laquelle tu l’as réservé… Des fois aussi, ils vont pas mettre assez d’essence par exemple… ça influence négativement vu que tu es dépendant de tout le monde.
(Sujet 17, EU négative avec le service de location de voiture Communauto)
Dimension physique
Avec le Bixi, des fois, si ma randonnée était trop pépère alors je vais aller monter une montagne ou aller jusqu’à Berri pour monter la côte, et ça me permet d’augmenter mon cardio.
(Sujet 17, EU positive avec le service de location de vélo Bixi)
Les résultats de l’étude
Dans le cadre de cette étude, 25 entrevues téléphoniques semi-structurées ont été réalisées avec des participants aux profils variés. Les participants devaient décrire une expérience positive et une expérience négative vécue avec un produit interactif (pour un total de 50 expériences utilisateurs recueillies).
Les principaux résultats indiquent que les dimensions peuvent être utilisées pour décrire les expériences positives et négatives. Toutefois, les expériences positives auraient tendance à être caractérisées par un plus grand nombre de dimensions que les expériences négatives. Ceci nous pousse à croire que les expériences positives sont plus complexes et complètes. Nous croyons aussi que plusieurs composantes positives sont nécessaires pour former une expérience positive, mais que seulement quelques composantes négatives sont suffisantes pour former une expérience négative.
Les résultats montrent également que les dimensions psychologique, fonctionnelle et utilisabilité sont présentes dans un très grand nombre d’expériences (90%, 88%, 88%), suivies par les dimensions cognitive (74%), informationnelle (70%) et perceptuelle (66%). Les trois dimensions qui arrivent au sommet du classement semblent jouer le rôle le plus déterminant dans l’appréciation d’une expérience par les participants et être plus universelles. Ceci n’est pas surprenant puisque c’est la fonctionnalité qui motive la création d’un produit et justifie son utilisation, que c’est l’utilisabilité qui rend l’interaction avec le produit possible et que la dimension psychologique correspond à la réaction de l’utilisateur vis-à-vis le produit.
Les dimensions perceptuelle, sociale et caractéristiques externes sont plus fortement associées aux expériences positives que négatives, tandis qu’aucune dimension ne semble être associée spécifiquement aux expériences négatives. Concrètement, c’est comme s’il y avait des dimensions de base à remplir pour qu’une expérience soit satisfaisante (ex. : le site Web est simple à utiliser) et qu’il y avait des dimensions « bonus » qui permettent d’enrichir l’expérience (ex. : le site est non seulement simple à utiliser, mais son apparence est soignée).
Suite aux entrevues réalisées, nous croyons que les dimensions peuvent être groupées en deux pôles, soit le côté produit et le côté utilisateur. En effet, pour certaines dimensions, les participants décrivent principalement les qualités du produit et utilisent des expressions plus objectives, tandis que pour d’autres dimensions de l’EU, ils décrivent la façon dont ils vivent l’expérience et utilisent des expressions plus personnelles. De plus, nous avons extrait des sous-dimensions qui se rapportent spécifiquement à chacune des dimensions, ce qui apporte un niveau de détail supplémentaire et qui sera fortement utile pour orienter la construction d’un outil d’évaluation de l’expérience utilisateur.
Dimensions |
Sous-dimensions |
Côté produit | |
Fonctionnelle |
|
Utilisabilité |
|
Caractéristiques physiques |
|
Informationnelle |
|
Caractéristiques externes |
|
Caractéristiques externes
|
|
Côté utilisateur | |
Perceptuelle |
|
Cognitive |
|
Psychologique |
|
Sociale |
|
Physique |
|
Autres qualités du produit
|
Puisque l’expérience utilisateur est un résultat, le grand défi qu’elle apporte est de savoir comment créer une expérience positive chez les utilisateurs d’un produit interactif. Pour y arriver, nous devons notamment être capables de l’évaluer et d’en dresser un portrait. Les résultats ci-haut jettent les bases pour la construction d’un tel outil, qui devrait s’inspirer du NASA-TLX, un outil populaire en ergonomie pour mesurer la charge mentale de travail. D’autres études sont en cours afin de raffiner les dimensions et les sous-dimensions, d’évaluer leur indépendance et de construire un prototype d’outil.