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Non, l’organique n’est pas mort sur Facebook
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Non, l’organique n’est pas mort sur Facebook

  • Niveau Technique
Médias sociaux Stratégie d'affaires

 

Les pages Facebook utilisent trop souvent le payant pour compenser leurs manques d’efforts en organique. Convaincues par le réseau social et leurs statistiques que les posts classiques – comprenez non sponsorisés – ont perdu de la portée et de l’attraction, les marques se détournent massivement de cette stratégie et préfèrent booster systématiquement leurs publications. Ce n’est pas seulement une attitude paresseuse, c’est une erreur stratégique et une inversion de la chaîne de valeurs: aucune stratégie payante ne pourra jamais palier de mauvaises pratiques organiques ; alors qu’une bonne stratégie organique va démultiplier l’impact de vos $.

 

Encore récemment, un article de Hubspot prophétisait la mort prochaine de l’organique. Même si le propos global invite à retarder cette échéance et à battre l’algorithme, ce que la plupart des chefs du marketing retiendront de cet article, c’est sa prédiction apocalyptique: «Facebook says you should assume organic reach will eventually arrive at zero». Mais une tendance n’est pas une fatalité. Pour bien comprendre la situation, un grand saut en arrière s’impose…

 

La raison du plus faible

 

En 1973, un sociologue américain du nom de Mark Granovetter publie une étude qui va faire date: The Strength of Weak Ties (La Force des liens faibles). Il y postule que nos réseaux relationnels sont tissés de liens forts et de liens faibles. Les liens forts sont ceux qui nous lient à nos amis les plus proches ou à notre famille, alors que les liens faibles sont l’apanage des collègues de travail et des amis plus éloignés. Selon Granovetter, chaque personne se retrouve donc au sein d’un “cluster” plus ou moins développé et constitué de liens forts redondants et de liens plus faibles. Mais la découverte contre-intuitive qu’il va faire au cours de ses recherches, c’est que l’information emprunte les liens faibles pour circuler: c’est en transitant par les lignes pointillées qui connectent les clusters entre eux qu’elle se répand dans l’ensemble d’une communauté (voir schéma ci-dessous).

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Granovetter ne le savait pas encore, mais il venait de matérialiser le coeur du réacteur des médias sociaux: ce schéma théorique, c’est celui de la viralité. Organiquement, le transit de l’information sur tous les réseaux sociaux fonctionne sur ce principe. Dans un post de blog daté de janvier 2012, un employé de Facebook, Eytan Bakshy, se félicitait d’ailleurs de participer à la démocratisation de la transmission de l’information et en appelait aux travaux du sociologue: «Les liens faibles aident à répandre l’information en construisant des ponts entre les clusters de liens forts. “La force des liens faibles” nous renseigne sur la manière dont les nouvelles se diffusent sur les réseaux sociaux. (…) Les recherches suggèrent que Facebook n’est pas la chambre d’écho que certains dénoncent: les réseaux sociaux pourraient bien en réalité accroître la transmission de l’information et de points de vue différents.» C’était avant l’élection de Donald Trump et la découverte naïve des “bulles de filtres”.

Qu’est ce qui a changé depuis 2012? Deux choses: Facebook a doublé son nombre d’utilisateurs actifs et est entré en Bourse. Autrement dit, il a dû faire face à la fois à un embouteillage de contenus sans précédent et nourrir l’appétit vorace de ses actionnaires. Le coup de génie de la firme aura été de régler ces deux problèmes en même temps. Comment? Par la magie des algorithmes.

 

Facebook coupe les ponts

 

En 2012, on vivait encore sous l’égide du préhistorique “Edge Rank”. Pour les plus jeunes, cet algorithme déterminait l’affichage des contenus dans le newsfeed en se basant sur trois facteurs: l’affinité entre l’émetteur et le récepteur (l’intensité du lien qui les unit), l’attractivité du contenu (une photo valait plus qu’un post) et la fraîcheur de la publication (prime à la nouveauté). Mais en 2013, Facebook déprécie et enterre l’Edge Rank: désormais, son algorithme prendra en compte plus de 100000 points de données (!) pour déterminer l’affichage du contenu dans chaque newsfeed. Et impossible, évidemment. de connaître la sauce secrète.

Depuis, la portée des pages Facebook n’a cessé de s’écrouler. Une étude de Social Ogilvy estime ainsi que la portée organique moyenne des pages est passée de 12% en 2013 à 6% aujourd’hui. L’algorithme opérant un tri toujours plus drastique entre des contenus toujours plus nombreux, il est devenu mécaniquement plus difficile pour elles de rejoindre leur communauté la moins engagée, et par ricochets de conquérir de nouveaux fans. Rien que de très logique au fond. Tous les gestionnaires de communautés en ont déjà fait l’amère expérience: organiquement, ce sont très souvent les mêmes personnes qui commentent leurs publications et interagissent avec elles. Cette communauté resserrée, ce coeur de fans, c’est ce qui reste de vos liens forts. Vos liens faibles? Facebook les a progressivement coupés. Mieux: il les a monétisés.

C’est le 2e étage de la fusée algorithmique de Facebook, celui qui a mis le réseau social en orbite boursière: pour compenser la baisse de portée causée par la modification de son algorithme, il propose aux pages de payer pour la retrouver. En somme, Facebook a complètement détourné à son avantage les principes de Granovetter qui était pourtant au coeur de son fonctionnement. Il a d’abord volontairement détruit les ponts étroits qui connectaient les clusters entre eux et assuraient une transmission organique de l’information, avant de proposer aux marques de les reconstruire avec des briques publicitaires. Cette modification de l’algorithme est un grand classique de la stratégie militaire: celui qui contrôle les ponts gagne souvent la guerre.

 

L’organique est mort, vive l’organique

 

Cela signifie-t-il que les pages doivent capituler? Accepter l’idée que la consommation organique appartient au passé? Non, au contraire même. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que même dévoyées, même enfouies, même détournées au profit de Facebook, les lois de Granovetter y demeurent inchangées: activez les liens faibles organiquement et votre contenu va recommencer à circuler. Le défi est notoirement plus relevé qu’il y a 5 ans, mais il n’est pas insurmontable et sera compensé par une meilleure rentabilité de vos efforts: en bout de ligne, vous débourserez moins pour une popularité plus authentique. Ajoutez-y ensuite un budget ciblé, et regardez vos publications prendre feu.

Mais comment expliquer alors que cette stratégie ne soit pas plus populaire chez les pros? Trois obstacles majeurs se dressent qui découragent souvent les pages Facebook:

 

1. Une stratégie organique prend du temps

Pour des départements marketing sous pression et soumis à des exigences de résultat à court terme, le temps est devenu une denrée rare. Prendre plusieurs mois ou années pour construire une communauté engagée tient du luxe. Il y a des messages à faire passer, des impressions à engranger, des campagnes à faire rouler. Alors faute de temps, on dépense de l’argent. On paie au clic ou à la portée des résultats qu’on aurait pour partie pu atteindre avec un travail foncier en organique. 

Le graphique ci-dessous représente les Likes d’une page Facebook qui a commencé sa campagne d’acquisition payantes en mars et une stratégie organique rigoureuse à partir du mois d’avril. Regardez comment, à budget constant, le ratio Organic Likes / Paid Likes va progressivement s’inverser. À partir d’octobre,les ⅔ des nouveaux likes sur cette page sont devenus gratuits et 1/3 sont désormais payants. L’exact inverse de la situation observée en avril. Le problème, c’est qu’il aura fallu attendre 5 mois pour obtenir ce résultat: une éternité quand on attend des médias sociaux des gains instantanés.

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2. Une stratégie organique demande de la précision

Pour prendre une analogie militaire, une stratégie organique doit multiplier les frappes chirurgicales pour faire mouche. On ne parle pas ici de ciblage comportemental, mais bien d’efficacité éditoriale: en l’absence du facteur argent, c’est plus que jamais le taux d’engagement (nombre de personnes engagées / portée x 100) qui sera le premier KPI à surveiller. Compte tenu que chaque élément du post peut affecter ce taux – du titre au texte de lancement, en passant par la photo, la description et l’heure du jour , chaque publication doit être pensée comme un coup de circuit. L’objectif est de conduire l’internaute vers un site de destination? Alors le sujet du post doit en donner assez pour intriguer l’utilisateur, pas trop pour l’obliger à cliquer, et sa lecture doit entrer dans la fenêtre de 4 secondes correspondant au temps de décision du lecteur. L’objectif est de générer des interactions à même le post? Ici, l’économie d’informations n’est pas un sujet, seul compte la capacité à faire réagir. Même si ces deux stratégies ne sont pas mutuellement excluantes, chaque objectif d’affaire nécessite une méthodologie éditoriale et un langage qui lui est propre.

L’essentiel du travail consiste à répéter ces frappes chirurgicales pour faire grimper le signal social de la page. Rappelons que l’algorithme de Facebook fonctionne comme un cercle vertueux: chaque post viral augmente la portée du suivant et ainsi de suite. Mais ce cercle vertueux devient inversement vicieux en cas de contre-performances successives. Voilà pourquoi tant de pages se plaignent de l’inefficacité de leurs posts organiques: faute de stratégie de publication rigoureuse, elles annihilent leurs bonnes performances ponctuelles à cause de mauvais résultats récurrents.

Pour reprendre le use case qu’on évoquait plus haut, la stratégie organique de cette page Facebook visait avant toute chose à conduire le socionaute vers un site de destination. Tous les efforts organiques étaient donc focalisés sur la génération de clics. Le graphique ci-dessous parle de lui-même: de 4e source en avril avec 11% de part de trafic, le social (courbe mauve) est devenu depuis octobre la 1ère source avec plus de 30% de part de trafic. Tout ça sans débourser 1$.

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3. Une stratégie organique demande de donner aux fans ce qu’ILS veulent

Le corollaire de cette exigence de temps, de constance et de performance, c’est qu’il faut remettre les fans au centre des préoccupations. Une évidence qui ne l’est pas: trop souvent, les intérêts de l’entreprise prennent tellement de place et d’énergie qu’on en oublie ceux du public. Dans le cadre d’une stratégie payante, il arrive que cette réalité soit noyée sous les $ qui permettent d’atteindre les objectifs d’affaires, mais en organique elle se paie cash. Pour corriger cette inertie, le premier réflexe serait de cesser de publier le contenu, les campagnes et les messages qui ne marchent pas. Mais quel service marketing peut s’offrir un luxe pareil? L’autre solution consiste “simplement” à modifier ses méthodes de production de contenu pour rejoindre les goûts de son public: changer le discours, le type de contenu, le mode de narration, la scénarisation de la campagne… Comme on dit en journalisme: «il n’y a pas de mauvais sujets, il n’y a que des mauvais angles».

Les plus grandes organisations pourraient être tentées de balayer toutes ces considérations d’un revers de main. Après tout, pourquoi s’évertuer à activer organiquement ses liens faibles quand un budget confortable permet de faire la même chose? Ce serait commettre une double erreur. D’abord, le KPI qui mesure l’efficacité réelle d’une campagne, le fameux retour sur investissement (ROI), dépend on l’a vu de critères organiques: vous pouvez acheter des impressions, de la portée ou même de l’engagement, mais vous ne pouvez pas acheter un taux d’engagement. Tous les posts devraient donc être pensés, conçus et publiés pour performer en organique, puis propulsés à coup de $ une fois leur traction constatée.

Mais surtout, il faut garder en tête qu’un lien faible est toujours un lien fort en gestation. Qu’il suffit de lui parler régulièrement et correctement pour le renforcer. Si une campagne payante rejoindra sans problème n’importe quel public ciblé, elle n’aura jamais la puissance de l’organique pour l’engager sur la durée et tisser une relation durable. Il en va du monde réel comme virtuel: vous pouvez acheter vos amis, mais ce n’est pas comme ça que vous gagnerez leur fidélité.