Interfaces déloyales : quand l’ergonomie est utilisée pour tromper
Le concept de « dark pattern », que je traduis ici par « interface déloyale », a été décrit par Harry Brignull à partir de 2010. Il s’agit d’interfaces délibérément conçues pour nous conduire à effectuer une action avantageuse pour l’entreprise (par exemple, souscrire à un abonnement récurrent), mais désavantageuse pour le consommateur.
Ces interfaces, délibérément conçues pour tromper, sont donc à distinguer :
- D’erreurs de design : les erreurs de design, n’étant pas intentionnelles, peuvent créer des interfaces qui induisent en erreur, mais pas nécessairement de façon déloyale car la déloyauté implique la mauvaise foi
- D’interfaces persuasives : la persuasion consiste plutôt à convaincre à l’aide de mots (qui transmettent de l’information), d’émotion (par exemple une photo inspirante) ou d’un raisonnement (Wikipédia).
Un exemple d’interface déloyale : LinkedIn
Une amie me racontait avoir reçu, en un court laps de temps, une grande quantité d’invitations à joindre LinkedIn de la part de ses amis. Juste avant, LinkedIn venait de faire un changement important, mais relativement difficile à percevoir, à son gabarit « Les connaissez-vous ». Sans avertissement, LinkedIn s’est mis à inclure des personnes qui ne sont pas encore membre de LinkedIn dans les suggestions, alors qu’auparavant cette page se limitait à afficher des membres de LinkedIn.
Induire en erreur volontairement
Le libellé « Ajouter au réseau » n’évoque pas le fait que ces personnes ne sont pas inscrites à LinkedIn et recevront une invitation à joindre LinkedIn. Cette tactique est l’une des plus communes. Harry Brignull, le père du concept de dark pattern, l’a intitulé tactique « Bait and switch », qu’on pourrait traduire par « induire en erreur ».
Une solution de rechange loyale et potentiellement persuasive
L’objectif de LinkedIn est d’inciter les membres à inviter plus de gens à s’inscrire au site, objectif qui pourrait être poursuivi de plusieurs façons. Or, LinkedIn a choisi de le faire d’une manière peu transparente, et ce de manière vraisemblablement délibérée. Voici, par exemple, l’une des multiples tactiques qu’aurait pu employer LinkedIn pour persuader ses membres au lieu de les induire en erreur.
L’interface ci-dessus clarifie que ce contact n’est pas membre de LinkedIn et permet à l’internaute de réviser le message d’invitation, comme c’est présentement le cas lorsqu’on invite des contacts déjà membres de LinkedIn. Aussi, l’origine de cette suggestion apparaît également. Évidemment, il est probable que cette interface alternative entraînerait une baisse du nombre d’invitations. Cependant, en offrant la possibilité de personnaliser le message d’invitation, il n’est pas impossible qu’il puisse améliorer le taux de réponse des invitations, donc au final, le nombre de nouveaux membres dans LinkedIn.
3 types de conséquences des interfaces déloyales pour l’utilisateur
Comme on l’a dit, les interfaces déloyales sont d’une façon ou d’une autre désavantageuses pour l’internaute. Les conséquences sont essentiellement de 3 types :
1. Atteinte à la réputation
J’ai reçu récemment une invitation à joindre le site de rencontre Twoo de la part d’une amie. Sachant qu’elle ne m’aurait jamais délibérément invité à ce site, j’ai investigué et j’ai découvert que Techcrunch s’intéresse depuis plus d’un an aux tactiques d’acquisition de nouveaux membres de ce site. D’après Techcrunch, le bouton « Next » dans l’écran « Contacts », qui se présente comme une alternative à « Connect », ne permettait pas, dans les faits, d’éviter d’inviter ses amis. Voilà une interface très déloyale qui conduit l’utilisateur à inviter ses amis sans notre consentement explicite, au bénéfice de Twoo, mais au détriment de la réputation de l’utilisateur (pas vraiment cool d’inviter ses amis à un site de rencontre).
2. Atteinte à votre porte-monnaie
Le désavantage pour l’internaute est parfois pécuniaire. Par exemple, les entreprises TransUnion et Equifax, deux entreprises qui gère le dossier de crédit des consommateurs, on tente de faire faire en sorte que le consommateur souscrive à un abonnement coûteux à son dossier de crédit, alors qu’ils sont obligés par la loi de fournir aux consommateurs leur rapport de crédit gratuitement. Sur chacun des deux sites, dès qu’on clique sur l’appel à l’action pour obtenir son dossier de crédit, on commence le processus d’achat à un abonnement mensuel avec renouvellement automatique qu’on ne peut pas changer avant de continuer. À TransUnison, on a même placé la précision « par mois » sur une ligne différente du prix, ce qui ajoute à la confusion.
3. Atteinte à la vie privée
Dans beaucoup de cas, l’objectif de l’interface déloyale est d’obtenir la liste des contacts de l’utilisateur ou encore le conduire à s’abonner à une infolettre.
Par exemple, la page pour télécharger le logiciel Axure semble suggérer qu’il faut fournir notre courriel pour télécharger le logiciel alors que ce n’est pas le cas. Pour y arriver, il suffisait d’inclure un champ de courriel, sans indiquer que ce champ est optionnel. Combiné à une case pré-cochée pour s’abonner à leur infolettre, on peut imaginer que cette tactique est très efficace.
Investir à long terme
Les tactiques déloyales donnent certainement des résultats à court terme; mais à long terme, celles-ci érodent la confiance. Pour obtenir un succès durable, il vaut mieux investir dans la création de contenus ou de services avec une réelle valeur, et persuader le consommateur de cette valeur, notamment grâce à des interfaces persuasives et conviviales, c’est-à-dire en investissant en stratégie et en ergonomie web.
Références