Achat programmatique: la balade est terminée
La bannière publicitaire a connu de grands changements ces dernières années. Voici un état des lieux et de potentielles avenues pour le futur.
La publicité sous forme de bannière, communément appelée display, a connu de grands changements depuis sa création. En effet, l’avènement de la programmatique au tournant des années 2010 a façonné la façon dont les annonceurs et les agences achetaient, géraient, optimisaient et mesuraient ce support. Du côté des éditeurs, l’impact s’est fait sentir sur leur modèle d’affaires et les méthodes de monétisation de leurs sites. Quant à l’utilisateur, c’est son expérience numérique qui a été le plus touchée. Bref, ce support, considéré par plusieurs comme le mal-aimé des internautes, n’a laissé personne indifférent, et sa situation actuelle incite à se demander comment il évoluera dans le futur. Voici un résumé de l’état de l’achat programmatique et de sa potentielle évolution dans l’écosystème numérique.
Notre dépendance à l’achat média programmatique
Après des années fastes de croissance des investissements dans l’achat programmatique, on observe que ce dernier tend à atteindre un certain plateau. Selon eMarketer, plus de 86 % des investissements publicitaires numériques se font actuellement dans l’achat programmatique. Force est d’admettre que nous avons développé une forte dépendance à cette approche, à un point tel qu’elle n’est plus remise en question. Une véritable lune de miel, durant laquelle la programmatique a été perçue comme une solution miracle, un moyen rapide et efficace de rejoindre des audiences de qualité à faible coût. En revanche, notre dépendance à l’achat programmatique a eu un effet négatif de taille en affaiblissant de façon substantielle l’écosystème publicitaire canadien. En effet, la baisse fulgurante des coûts par mille impressions (CPM) a eu un impact tel sur les revenus des éditeurs qu’ils n’ont eu d’autre choix que de multiplier les espaces publicitaires par page, et ce, au détriment de l’expérience des utilisateurs. Ces derniers sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à réclamer haut et fort un resserrement des normes liées à l’utilisation des données personnelles. Qu’à cela ne tienne, les plus récents changements dans l’industrie, notamment en ce qui concerne la gestion des données d’utilisateurs, imposeront des modifications majeures dans le secteur de la programmatique, et cette révolution est à nos portes.
La fin des cookies de tierces parties
Apple a entamé le pas à l’automne 2018 avec l’Intelligent Tracking Prevention (ITP), qui mettait un frein à l’utilisation des cookies tiers dans Safari. Peu de temps après, Mozilla Firefox prenait la même direction avec l’ajout de l’Enhanced Tracking Protection (ETP), une fonctionnalité appelée à être activée par défaut un an après son lancement. Plus récemment,Google a annoncé la fin des cookies dans Chrome à partir de 2022. En considérant que ces trois navigateurs détiennent plus de 85 % des parts de marché, on peut en quelque sorte annoncer la mort prochaine des cookies tiers.
Cependant, Google n’abandonnera pas la joute publicitaire à l’instar d’Apple et Firefox. Cela va de soi, car la publicité constitue sa principale source de revenus. C’est donc à l’aide d’une API baptisée Privacy Sandbox que Google compte pallier le retrait des cookies de tierces parties. L’objectif sera d’utiliser l’API comme instrument de mesure de conversions et de création potentielle d’audiences à l’intention des fournisseurs de solutions publicitaires programmatiques. Il sera très intéressant d’observer les répercussions de ce changement majeur. Quel impact aura-t-il sur les revenus publicitaires des éditeurs? Qu’en sera-t-il de la qualité des audiences mises à la disposition des annonceurs? Y aura-t-il encore des audiences disponibles? Est-ce que l’attribution sera affectée? Les taux de réponse latente (view-through) survivront-ils? Comment Google tirera-t-elle profit de ce changement grâce à une plus grande mainmise sur les données générées par l’entremise de son navigateur Chrome? Bref, plusieurs questions restent en suspens et il sera très intéressant de suivre ce dossier de près!
Que réserve l’avenir aux agences et aux annonceurs?
Tous ces récents changements nous amènent à repenser notre approche en matière d’achat média. Durant plusieurs années, plusieurs d’entre nous avons délaissé l’achat média contextuel (ciblant des environnements ou des sites) au profit de l’achat d’audiences tierces, tenu pour une solution rapide et efficace. Nous avons toutefois oublié un facteur très important avec ce type d’achat : le contrôle de la qualité de l’environnement de diffusion y devient très difficile. D’un côté, les listes d’exclusion ne permettent pas d’assurer un contrôle total, et de l’autre, les listes d’inclusion jumelées aux audiences ont inévitablement un impact sur la portée potentielle de l’opération, qui s’en trouve considérablement réduite. À l’opposé, l’achat contextuel peut garantir de bons positionnements à même de maximiser la visibilité et la portée d’une initiative média.
On peut dresser un parallèle entre nos approches à l’achat de bannières publicitaires et à l’achat d’aliments. Les repas transformés du rayon des surgelés et la restauration rapide demeurent des solutions rapides et efficaces, mais est-ce qu’un régime exclusivement de cet ordre peut être considéré sain et équilibré? Poser la question, c’est y répondre. Seule une alimentation complète et variée nous assure d’un régime sain et équilibré, et nous devons appliquer la même approche à la planification et à l’exécution des achats publicitaires.
Pour conclure, nous assistons à des changements profonds qui ont une incidence sur la publicité dite display. L’achat média programmatique semble avoir atteint ses limites, et la sensibilité des utilisateurs envers l’utilisation de leurs données personnelles a obligé les principaux acteurs à mettre en place des mécanismes qui bouleverseront l’exploitation des audiences publicitaires. Il appartiendra aux spécialistes du numérique de trouver des solutions de rechange permettant de satisfaire les objectifs d’affaires des annonceurs. Après des années où tout allait comme sur des roulettes, la prise de conscience est amorcée et la balade est terminée!
Il est maintenant temps de revenir à un régime sain et équilibré, d’introduire davantage d’achats contextuels dans nos campagnes numériques, et de porter attention aux changements que nous imposera la disparition des cookies tiers. Nous sommes choyés par les initiatives canadiennes et québécoises en ce sens, car nous possédons un écosystème médiatique fort. Cela vaut d’autant plus pour nos campagnes ciblant la province. En outre, les médias québécois affirment à grands cris et depuis trop longtemps qu’ils ont besoin des annonceurs et qu’ils ne pourront survivre à la domination des géants du Web. Il ne tient qu’à nous de revenir à la source et de leur tendre la main.