Trois bonnes raisons de ne pas investir dans une CDP (pour le moment)
Avec la disparition des cookies tiers et des identifiants mobiles, les marketeuses, les marketeurs et leurs entreprises respectives commencent à réaliser à quel point la donnée primaire est importante. Devant le besoin d’organiser leurs données clients, plusieurs spécialistes du marketing (numérique en particulier) se tournent vers la solution la plus utilisée dans l’industrie ces dernières années : investir dans la plateforme MarTech de l’heure.
De toute évidence, la plateforme qui a actuellement le vent dans les voiles, c’est la CDP (Customer Data Platform), qui se présente clairement comme le successeur naturel des DMP (Data Management Platform). Après tout, les CDP sont conçues du tout au tout pour gérer les données primaires de vos clients. De plus, elles viennent avec un paquet de pré-connecteurs (en amont et en aval) qui permettent de transformer et d’envoyer vos données d’audience clients vers toutes vos autres plateformes marketing (et vous n’êtes pas sans savoir qu’elles sont souvent nombreuses!).
Mais est-ce vraiment d’une CDP dont vous avez besoin pour vous préparer à cette nouvelle ère en marketing? Ayant conduit de nombreuses implémentations de CDP, de DMP et d’autres plateformes infonuagiques (clouds) analytiques ou martech en tous genres, je vois, dans plusieurs cas, au moins trois bonnes raisons de répondre « non » à cette question.
D’ailleurs, je vous préviens d’avance : plusieurs lecteurs risquent de trouver cet article un peu cru et même dur à certains égards. Soyez toutefois sans crainte. Ce texte a été écrit avec amour (du tough love, certes, mais de l’amour quand même) et ce sont, au fond, mes cicatrices de combat technologique des dix dernières années qui vous parlent. 😉
Raison n° 1 : Vous sous-exploitez vos plateformes actuelles
Selon certaines études, les spécialistes du marketing ont en moyenne jusqu’à 16 plateformes Martech dans leur parc technologique (et jusqu’à 20 pour les spécialistes du marketing B2B). Toutefois, dans bien des cas, les capacités de ces plateformes ne sont pas pleinement exploitées.
Prenons l’exemple de Google Analytics. Dans plusieurs des mandats liés à des plateformes de données qui m’ont été confiés, j’ai été surpris de voir à quel point les marketers ignorent l’ensemble des possibilités que nous offre cette plateforme. En effet, bon nombre des fonctionnalités d’une CDP ne sont pas nécessaires si on utilise Google Analytics de la bonne manière. Cela est encore plus vrai si l’on combine cette dernière avec Google Ads et Google Optimize (sans même parler de Google Cloud), notamment en ce qui a trait à la segmentation, à l’activation et à la personnalisation d’audience. Tout ce qu’il vous faut, c’est de l’imagination pour développer quelques bons cas d’utilisation à tester.
Toutefois, pour une raison qui m’échappe, très peu de spécialistes du marketing (même celles et ceux qui se considèrent comme plus « matures » et de niveau plus avancé dans le domaine) font bon usage de ces outils.
Résultat : au lieu de constater qu’il leur serait possible d’exploiter plus pleinement le potentiel de leurs plateformes existantes, ces spécialistes croient devoir recourir à une nouvelle plateforme, encore plus puissante, pour atteindre leurs objectifs et améliorer leur rendement. Comme je le mentionnais précédemment dans un article intitulé « Combien de millions ($) valent vos données marketing ? », j’appelle ce phénomène le syndrome de l’accapareur de plateformes (platform hoarder).
Malheureusement, pour celles et ceux qui en souffrent, ce qui finit par se produire, c’est que leur nouveau gadget devient à la fois trop gros et trop complexe à gérer, en plus de ne pas convenir à leurs véritables besoins immédiats. Par conséquent, après nous avoir propulsés au sommet de l’engouement (jusqu’au pic du cycle de Gartner), les attentes démesurées se dégonflent rapidement, avant de dégringoler tout au fond de la vallée de la désillusion. Éventuellement, ce nouveau gadget finit par être mis au rancart, rejoignant ainsi les innombrables plateformes coûteuses gaspillées par des entreprises au cours de la dernière décennie.
Raison n° 2 : Vous n’avez pas le temps d’attendre qu’une CDP deviennent opérationnelle
La fin des identifiants numériques tiers, c’est maintenant que ça se passe. Oui, la fin officielle est prévue pour 2024, mais celle-ci aura déjà eu lieu et ne sera plus alors que symbolique. Il vous faudra donc vous assurer que vos solutions de données primaires soient opérationnelles dans les meilleurs délais. C’est pourquoi vous devez évaluer rigoureusement votre situation actuelle et déterminer la feuille de route la plus efficace pour répondre à vos besoins, à moyen comme à court terme.
D’expérience, l’enjeu avec la CDP, c’est qu’il faut en moyenne 3 à 4 ans à une entreprise pour atteindre une bonne vitesse de croisière avec cet outil. Il faut généralement une ou deux années avant que la plateforme devienne relativement opérationnelle, puis une ou deux années de plus pour acquérir le niveau de maîtrise de la plateforme nécessaire à l’atteinte de son plein potentiel. Dans certains cas, cela nécessite encore plus de temps, et dans d’autres, le potentiel maximal de l’outil n’est malheureusement jamais atteint. Il faut évidemment tenir compte du fait que plus l’entreprise est grande, plus il y a de parties prenantes ou de départements impliqués, et plus le processus d’optimisation sera long.
Vous vous demandez sûrement pourquoi il faut autant de temps pour rendre une CDP opérationnelle. Eh bien, connaissez-vous les trois P en TI? Si ce n’est pas le cas, les voici :
1-People (les gens);
2-Process (les processus);
3 – Platform (la technologie).
Nous ne vous les présentons pas ainsi de manière aléatoire : ces trois aspects doivent être abordés dans cet ordre de priorité.
Le problème, c’est que trop de marketers ne connaissent que le troisième P. Par conséquent, ils lancent un projet d’implémentation CDP sans avoir d’abord évalué les besoins en ressources humaines ainsi que les changements organisationnels et culturels qu’implique une telle implémentation. Trop souvent, c’est cette erreur fondamentale qui explique l’échec de ces projets.
La première année, ça ne paraît pas trop, car tout le monde a les yeux rivés sur l’implémentation technique et tous les défis que cela comporte. Toutefois, c’est souvent après un an ou deux que les parties prenantes se réveillent, qu’elles sont de plus en plus impatientes de récolter le fruit de leurs efforts. À ce stade, elles veulent des résultats probants et un retour sur investissement intéressant, proportionnel au temps et aux sommes importantes accordées à ce projet. Le hic, c’est que dans bien des cas, on ne réalise qu’une fois l’implémentation complétée que personne (ou presque) au sein de l’entreprise ne sait comment piloter une CDP pour vrai.
C’est peut-être à ce moment que vous vous souviendrez que vos consultants ou la firme chargée de l’implémentation (s’ils ont bien fait leur travail) vous avaient prévenus que vous auriez besoin d’un accompagnement et d’une ressource spécialisée pour faire décoller votre CDP. Ces derniers vous avaient peut-être même fourni (comme nous le faisons chez Adviso) un manuel complet pour soutenir et guider votre gestionnaire d’audience dans ses tâches quotidiennes, incluant une description détaillée du rôle et des tâches des spécialistes à embaucher. Vous vous rappellerez peut-être également qu’on vous avait prévenu, dès le départ, de l’importance d’établir une feuille de route structurée en identifiant d’abord les cas d’utilisation les plus importants, puis en ordonnant ces derniers systématiquement, de manière à ce que vous commenciez par les plus simples.
Malheureusement, il n’est pas rare que les conseils des consultants ou des firmes spécialisées soient ignorés ou que leur importance soit minimisée par les entreprises, qui espèrent probablement que la « toute puissante tech » s’occupera de tout et qu’elle se chargera du travail par elle-même, comme par magie.
Hélas, vous vous doutez bien qu’il n’y a rien de magique à propos d’une CDP ou de toute autre plateforme martech plus avancée. Elles demandent immanquablement un investissement en temps, en ressources et, surtout, elles exigent de l’entreprise un engagement ferme à développer une véritable culture orientée vers l’intelligence de données au sein de son organisation.
Raison n° 3 : Vous manquez de maturité en analytique
Je sais que vous risquez de trouver ce sous-titre est un peu dur. Or, c’est pourtant vrai pour plusieurs entreprises au Québec et au Canada. Selon une étude menée par Deloitte, seulement 1 organisation canadienne sur 20 considère qu’elle est axée sur les insights de données, une proportion d’entreprises bien inférieure à celle que l’on observe aux États-Unis (17%). Cela concorde avec mon expérience personnelle des dix dernières années, au cours desquelles j’ai pu constater cette lacune sur le terrain.
Ceci étant dit, la maturité analytique d’une entreprise est intimement liée à sa maturité en matière de gestion et gouvernance de données primaires, facteurs qui déterminent à leur tour les chances de succès d’un projet de CDP.
Si votre équipe marketing numérique ne fait pas déjà de la segmentation d’audience sur vos plateformes actuelles, l’apparition d’une CDP ne changera rien à cette situation. L’avantage de commencer dès maintenant à créer et, surtout, à analyser vos segments d’audience, aussi simple soient-ils, c’est que vous acquerrez une plus grande maturité analytique en cours de route. Testez les limites de vos plateformes actuelles en matière de segmentation et de données primaires. Cela vous permettra ensuite, par un processus d’essai-erreur, de découvrir des cas d’utilisation concrets et nécessitant l’implémentation d’une CDP, sans avoir dépensé une fortune dans le processus.
Par conséquent, il est peut-être préférable pour votre entreprise d’investir dans une ressource qui vous aidera à mieux connaître et exploiter vos données primaires ainsi que vos plateformes actuelles, au lieu de mettre des sommes importantes à l’implémentation d’une nouvelle plateforme que personne dans votre équipe ne connaît.
Investissez d’abord dans votre maturité en données et en analytique
Selon une autre étude IDC commanditée par Collibra (une entreprise qui parlait de gouvernance de données bien avant que ce sujet ne devienne une tendance populaire), les entreprises qui sont parmi les plus matures en intelligence de données génèrent trois fois plus de bénéfices que celles qui ne le sont pas. Cette étude met aussi en évidence les principaux objectifs de ces entreprises plus matures. Voici certains des champs de concentration qu’elles mettent en œuvre et qu’elles implantent au sein de leur culture d’entreprise :
- l’amélioration de la sécurité des données (50%);
- des processus rigoureux pour assurer la qualité des données (44%);
- des mesures d’efficacité et de standardisation dans la gestion et l’analyse des données (45%);
- des cadres de référence dans la manière dont les données sont utilisées pour la prise de décision (42%).
Tenant compte de tous ces facteurs, au-delà d’une bonne stratégie (chose essentielle), la réussite d’un projet CDP dépendra avant tout de la culture qu’une entreprise aura cultivée par rapport à la donnée et à l’analytique. Réfléchissez aux types de rôles (people) et au types de modèles de gouvernance stratégique (process) dont vous aurez besoin, avant d’investir des dizaines, voire des centaines de milliers de dollars dans une nouvelle technologie (platform).
Est-ce que cela veut forcément dire qu’une CDP est une mauvaise solution?
Non, bien au contraire!
C’est justement parce qu’une CDP est un outil extrêmement puissant qu’il faut prendre la décision d’y avoir recours très au sérieux. Trop souvent, j’ai vu de telles plateformes être vilipendées et mises au rancart moins de deux ans après leur implantation. En général, c’était parce que les entreprises avaient sous-estimé, malgré toutes les mises en garde de leurs partenaires technologiques ou de leurs consultants externes, le coût réel d’une CDP. En TI, on appelle ça le coût total de possession (CTP), soit le coût d’achat d’un actif additionné à ses coûts d’exploitation pendant la durée de sa vie utile, et c’est une donnée qu’il faut absolument considérer. Autrement dit, il ne devrait pas y avoir de CDP sans CTP.
Pour conclure, oui, il est bien possible que votre entreprise soit prête pour une CDP. Assurez-vous toutefois d’évaluer et de valider rigoureusement votre niveau de préparation et votre aptitude à relever les défis de la CDP avant de vous lancer dans un projet d’implémentation long et coûteux. Un conseil si simple, qui pourrait néanmoins vous permettre d’économiser beaucoup de temps, d’énergie et d’argent.
Si vous avez besoin d’aide pour réfléchir à cette question, n’hésitez pas à nous contacter.
En tous le cas, je vous souhaite la meilleure des chances dans vos prochains défis numériques!