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Non, 2020 ne sera pas l’année de la recherche vocale
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Non, 2020 ne sera pas l’année de la recherche vocale

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La semaine dernière, j’assistais à une série de conférences sur le thème de la découvrabilité, où les présentateurs tentaient d’expliquer comment assurer le rayonnement des marques. Une petite phrase répétée par plusieurs intervenants m’a interpellé, comme à chaque fois que je l’entends : « 50% des recherches sur le web se feront via la recherche vocale en 2020. » Si vous travaillez dans le domaine du marketing de contenu ou du Search, vous avez déjà sans doute dû lire ou entendre cette phrase au moins une fois. Je me trompe?

Malgré ma forte volonté de lancer le débat, je me suis retenu d’intervenir avec la question suivante : nous sommes maintenant en 2019, dans cette salle remplie de professionnels du web et de la communication, combien d’entre vous effectuez au moins une recherche vocale par jour? La réponse aurait sans doute été bien en-deçà des 50% et pour cause, les fonctionnalités de la recherche vocale sont encore limitées. Pourtant le mythe perdure, trop de professionnels du web et du Search utilisent cette donnée comme un argument d’urgence et de priorisation à des clients qui se laissent convaincre.

Soyons honnêtes et arrêtons.

Les origines du mythe

Je ne suis bien sûr pas le premier à parler en mal de cette petite phrase changeuse de perception. Il y a quelques mois, alors que j’assistais à la SearchLove Boston Conference, j’avais été agréablement surpris de voir qu’une des présentatrices de chez Distilled, avait lancé un cri du coeur : « S’il vous plaît, nous sommes des professionnels du Search, arrêtons en tant qu’industrie d’utiliser cette statistique. » Et pour cause! Une statistique sortie de son contexte n’a pas grande valeur.

Mais d’où vient-elle, d’ailleurs, cette statistique?

La citation originale provient d’une entrevue de Fast Company, datant de septembre 2014 avec l’ancien scientifique de données en chef de Baidu, Andrew Ng :

A l’heure actuelle, environ 10% des recherches de Baidu se font par le vocal, avec un pourcentage beaucoup plus faible pour les images. Cependant, si les progrès se poursuivent au rythme actuel, Ng prévoit que dans cinq ans, au moins 50 % de toutes les recherches se feront par l’image ou le vocal.

A l’heure actuelle, environ 10% des recherches de Baidu se font par le vocal, avec un pourcentage beaucoup plus faible pour les images. Cependant, si les progrès se poursuivent au rythme actuel, Ng prévoit que « dans cinq ans, au moins 50 % de toutes les recherches se feront par l’image ou le vocal. »

Baidu est le moteur de recherche principal en Chine avec une écrasante part de marché de 70% en décembre 2018 (Google est à 2.59% de part de marché). Dans ses prévisions spécifiques au marché chinois et à Baidu, basées sur le lancement deux ans plus tôt de l’assistant vocal dudit Baidu, Ng faisait aussi référence à la recherche par image. La statistique était impressionnante à l’époque : en deux ans de vie de la fonctionnalité, la recherche vocale représentait déjà 10% des recherches totales faites sur le moteur de recherche chinois.

Dans le monde de Google, les premières fonctionnalités de recherche vocale sortent bien avant celles de Baidu, en novembre 2008. Pourtant, c’est seulement en mai 2016 que Google fait l’annonce que 20% des recherches mobile se font via le vocal. Et Google parle ici spécifiquement du mobile, contrairement à Baidu qui parlait en 2014 de 10% de recherches vocales au global. Pourquoi une telle différence entre l’Asie et, pour généraliser, l’Amérique du Nord et l’Europe? Les habitudes de consommation.

La Chine a connu une croissance incroyable dans les dernières années qui a bouleversé la manière de consommer de la population chinoise. En parallèle, le coût des téléphones intelligents a fortement baissé. Ces grands changements ont rendu Internet accessible à des centaines de milliers de personnes qui n’avaient jusqu’à présent pas les moyens de s’acheter un ordinateur. Ces nouveaux internautes – plutôt mobinautes – n’avaient donc jamais appris à se servir d’un clavier d’ordinateur et ont donc favorisé l’émergence de la recherche vocale en Chine. Andrew Ng le mentionne d’ailleurs dans son entrevue :

Le principal facteur à l’origine du changement radical dans la façon dont la recherche fonctionne aujourd’hui est l’essor des smartphones et des tablettes, qui privent de plus en plus les PC traditionnels de leur part du marché. C’est particulièrement évident dans des pays comme la Chine natale de Baidu, où de nombreux utilisateurs se connectent à Internet pour la première fois, principalement au moyen d’appareils mobiles. Sur les 632 millions d’internautes en Chine au mois de juin de cette année, 83% ont accédé au Web avec un téléphone portable, selon les chiffres du China Internet Network Information Center. La plupart de ces utilisateurs n’ont pas appris organiquement à utiliser la recherche basée sur le texte.

Voilà donc pour la remise en contexte. D’ailleurs, en effectuant quelques recherches, on se rend vite compte que ni Baidu, ni Google n’ont récemment communiqué sur les parts de marché de la recherche vocale comparativement à la recherche par texte. Leurs priorités sont ailleurs, principalement l’Intelligence artificielle. La reconnaissance vocale reste encore très perfectible (surtout dans une autre langue que le chinois ou l’anglais) et cette grand-mère italo-américaine vous le démontrera bien mieux que moi:

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais alors, quelles sont les tendances du marché de la recherche vocale?

L’état de la recherche vocale en 2019

Mieux que quelques lignes de palabres supplémentaires, je vous recommande fortement la lecture des articles de Rebecca Sentance qui a récemment fait un excellent état des lieux de la recherche vocale et de son avenir.

Mais avant de donner quelques chiffres, j’aimerais revenir sur la confusion qui semble régner chez les marketeurs, les usagers et les études entre assistant vocal (agent logiciel qui peut effectuer des tâches ou des services pour un individu, selon Wikipédia) et recherche vocale (activité de recherche d’information / produit sur Internet qui s’effectue directement par la voix au lieu de passer « classiquement » par la saisie clavier d’un texte sur un moteur de recherche, selon Définitions Marketing). La limite est floue mais voici trois exemples :

« Dis Siri, quelle est la capitale du Panama? »

Je fais une recherche vocale sur un moteur de recherche X (sans doute Google, puisque c’est le moteur de recherche par défaut sur iPhone) en utilisant un assistant vocal.

« Alexa, éteint la lumière de la cuisine »

Je fais une commande vocale à mon assistant vocal sans qu’il ait besoin de passer par une recherche web.

Sur Google je me rends sur la barre de recherche, je clique sur le micro (ou j’utilise l’assistant vocal de Google) et je lance une recherche vocale :

 Souvent donc, commande vocale et recherche vocale se retrouvent côte à côte dans des études, des présentations ou des pitchs, ce qui est bien gênant pour être en mesure de connaître réellement le vrai pourcentage de part de marché de la recherche vocale. On voit bien que « Alexa / Siri / Google, joue un morceau de la Compagnie Créole » n’a rien à voir avec « Alexa / Siri / Google, en quelle année est sorti le premier titre de la Compagnie Créole? », l’un étant une commande, l’autre une recherche. D’ailleurs, Eric Enge, fondateur de Stone Temple, une des plus grandes firmes de SEO américaine, le dit lui-même :

Je ne considérerais pas non plus l’utilisation de la voix pour envoyer un message à un ami comme de la recherche vocale. Ou encore régler une minuterie ou une alarme sur votre cellulaire. Pourtant, les assistants personnels comme Google Assistant, Alexa ou Siri considèrent ces exemples comme de la recherche vocale.

Place aux chiffres

Une étude faite en 2017 et 2018 très intéressante (mais discutable puisque basée seulement sur un échantillon de 2000 mobinautes américains) démontre plusieurs tendances :

  • 23% des personnes utilisent la recherche vocale ou une commande vocale au moins une fois par jour en 2018;
  • 40% des personnes n’utilisent jamais la recherche vocale ou une commande vocale en 2018;
  • 35% des utilisateurs utilisent la recherche vocale ou une commande vocale en voiture, 21% en effectuant une autre activité, 11% en faisant la cuisine (ce sont les trois situations principales);
  • 40% des utilisateurs demandent des directions, 36% posent des questions drôles (!), 35% font des demandes musicales, et 33% veulent les prévisions météo.

Ces tendances montrent bien que commandes vocales comprises, nous serons loin du 50% de recherches vocales en 2020 et même si la recherche vocale est de plus en plus utilisée, nous n’en sommes pas encore à une utilisation généralisée.

La volonté de nombreux experts SEO de brandir la position 0 comme étant le moyen idéal de répondre aux recherches vocales (et que c’est ce qu’il faut faire en priorité) est trompeuse. Pour rappel, la position 0 est un format d’affichage qui s’ajoute entre les résultats de recherche payants (AdWords) et les résultats de recherches organiques (en général il y en a 10), on l’appelle également featured snippet. Voici un exemple :

featured-snippet-fr

Pensez-vous un jour que les résultats de recherche de Google se limiteront à un seul résultat (la position 0) parce-que tout le monde utilise la recherche vocale? Non. Imaginez la guerre de SEO qui en découlerait! La position 0 est formidable pour bien des raisons et c’est effectivement elle qui est lue dans 80% des cas lors d’une recherche vocale. Et alors? Une réponse de 200 caractères (ou un peu plus dans certains cas) sur des sujets aussi variés que le domaine bancaire, celui des assurances, celui du e-commerce ou du voyage suffit-elle pour inciter l’utilisateur à aller plus loin dans son parcours sur le même site après une recherche vocale? Non. Tout au plus cela générera de la notoriété. Saviez-vous d’ailleurs qu’une position 0 ne génère en moyenne que 8.6% de clics contre 19.6% pour une position 1 (voire 26% lorsqu’il n’y a pas de position 0)?

Nous sommes encore loin du temps où on magasinera une hypothèque ou un voyage dans le Sud au travers de la recherche vocale. On constate clairement que la plupart des utilisateurs n’utilisent pas la recherche vocale pour cela, ils l’utilisent dans des cas très spécifiques pour poser une question d’ordre général (calcul, cuisine, météo, direction, culture générale). Ils pourraient l’utiliser pour faire des achats prochainement, mais le cas d’Alexa montre bien que presque personne ne convertit via un assistant vocal (et ceux qui le font ne recommencent pas à 90%). Alors où s’en va-t-on avec la recherche vocale?

Quid de la recherche vocale dans les prochaines années?

En début d’année dernière, Eric Enge réalisait une entrevue avec Duane Forrester et Brent Csutoras sur la manière dont les terminaux vocaux affecteront le futur du Search. Outre le fait que tout le monde s’accorde à dire que le vocal est de plus en plus présent, il demeure très difficile de voir où cela s’en va.

Et vous, avez-vous trouvé cet article en faisant une recherche vocale?