COVID-19: impacts actuels et prévisions [Table ronde]
Nous avons réuni des experts du marketing numérique pour discuter du sujet de l’heure.
Impossible de passer à côté : les éclats de la COVID-19 ont percuté notre quotidien. Nous assistons socialement à un changement de paradigme qui perturbera nos façons d’être, de faire, d’interagir, mais aussi de consommer. Comment les équipes marketing peuvent-elles limiter les dégâts? Pourraient-elles même y découvrir certaines opportunités?
Nous avons réuni plusieurs groupes d’experts issus de différentes disciplines pour parler, certes, de l’inévitable pandémie mondiale, mais aussi, de façon plus générale, de ce que peut impliquer la gestion d’une crise de la sorte et des perturbations qui en découlent pour les consommateurs et les entreprises.
Rejoignez autour de la table interactive :
Édouard Reinach, consultant transformation numérique et animateur de la table ronde
Èva Morin, stratège en expérience client et M.A.
Sébastien Neveu, stratège et chef de pratique inbound
Catherine Gratton-Gagné, chef d’équipe en marketing de contenu
Mathieu Zancan, stratège et chef d’équipe média numérique et M.Sc.
Simon Lahaie, stratège média numérique
Pascal-Philippe Bergeron, scientifique de données
Nicolas Scott, scientifique de données et Ph.D.
Nos observations
Édouard : Il y a une récession mondiale, causant un ralentissement économique. La COVID-19 va toucher tout le monde à différents niveaux. Qu’est-ce qui change dans les habitudes de consommation des consommateurs?
Èva : Dans un parcours client habituel, on part de tout ce qui est notoriété, recherches, prise de conscience, évaluation, considération, etc. Dans une situation de crise, ces comportements-là disparaissent : le persona va être en mode réaction, urgence, panique. Donc, on élimine près des trois quarts du parcours habituel, pour se concentrer sur des approches plus directes.
Avec les mesures d’isolement social (volontaire ou non) recommandées par le gouvernement, il va y avoir des nouveaux consommateurs qui vont acheter en ligne pour la première fois ou qui vont se tourner vers le commerce électronique de façon plus fréquente. Il y a là une opportunité d’acquisition et de fidélisation de clientèle accélérées. Les entreprises auront donc intérêt à ce que ces utilisateurs néophytes saisissent la pertinence de leur offre de commerce en ligne.
Catherine : L’isolation, qui sera difficile pour plusieurs, pourrait affecter leur santé mentale, déjà que le climat actuel est anxiogène pour plusieurs personnes. C’est peut-être le temps pour les marques d’alléger le discours et de se rendre divertissantes.
Sébastien : Sur la panoplie de courriels corporatifs envoyés au sujet de la COVID-19, j’ai été désagréablement surpris par l’absence de valeur de la plupart. On pense très marketing. Il ne faut pas oublier que la question principale d’une marque est son expertise. Plutôt que de se ruer dans l’urgence de faire comme tout le monde, il faudrait plutôt recentrer sa réflexion sur ce que l’on peut apporter.
Mathieu : La façon dont une marque va approcher la situation joue beaucoup sur sa notoriété. Même si la marque n’est pas en train de profiter de la situation de façon pécuniaire, cela peut faire en sorte qu’elle se positionne comme leader. À long terme, ça inspire la confiance. Mountain Equipment Coop, à mon sens, a fait preuve de leadership en envoyant des communications de plus en plus précises, transparentes et impliquées sur le sujet. C’est encore mieux qu’une campagne de pub pour engager sa clientèle envers sa marque.
Èva : Les entreprises doivent réfléchir à leur mission. N’est pas qui le veut une source d’information crédible. Ça vient avec des pouvoirs et des devoirs. S’il y a cohérence, il y a pertinence. Le ludique a sa place aussi. Il faut savoir choisir sa place et son ton.
Campagnes et conversions
Simon : En médias, mes clients demandent : « Est-ce que je devrais mettre fin à mes campagnes ou réduire mes investissements, et ce, au risque de perdre des audiences? ». Il est important de se questionner sur la manière d’agir, puisque ce revirement du parcours utilisateur écarte plus ou moins la phase de considération. En même temps, les entreprises veulent être en bonne posture lorsque la situation sera terminée.
Èva : Il faut réfléchir aux types de conversions vers lesquelles on dirige le consommateur. Par exemple, avec les Producteurs et productrices acéricoles du Québec, nous avons mis l’emphase sur des contenus de recettes, mais mis fin aux efforts orientés vers la visite physique dans les cabanes à sucre. Simple question de cohérence.
Simon : On observe que c’est plus difficile pour certaines marques, pour qui tout est dans le « pipeline », avec un calendrier éditorial où tout est déjà programmé à l’avance. C’est exactement le genre de choses sur lesquelles on doit se pencher, en ce moment. Une révision de l’ensemble des annonces en cours est crucial afin s’assurer de leur cohérence avec la situation actuelle.
Édouard : Les campagnes evergreen resteront, la Terre n’arrêtera pas de tourner. Mais tout ce qui entre dans la catégorie des campagnes plus saisonnières ou particulières, mérite d’être mis sur pause et réévalué.
Mathieu : C’est sûr que lorsqu’il y a un événement comme ça, il y a des comportements existants qui vont disparaître et de nouveaux comportements qui vont apparaître. Certains de ces nouveaux comportements sont intrinsèquement liés à un état de peur et de réactivité à la situation. On ne peut pas nécessairement affirmer que ces nouveaux comportements vont se reproduire à l’avenir.
De mon côté, cette crise affecte beaucoup de mes clients, dans les domaines de la culture, du conditionnement physique, des services bancaires, particulièrement au niveau du média. Chaque client a sa réalité et il n’existe pas de procédure standard à suivre. Il y a toujours une marge de manoeuvre pour canaliser ses efforts autrement.
Édouard : Les entreprises se retrouvent devant l’inconnu et l’incertain. Comment peuvent-elles ajuster leur stratégie marketing? Sur quel plan d’action peuvent-elles miser?
Èva : Dans des moments comme celui que nous vivons, le contenu, le owned, pourrait permettre aux entreprises d’enrichir les conversations avec leur clientèle et ceux avec qui elles sont déjà connectées.
Si on n’a pas de gros retour sur investissement, ou sur une campagne média, la valeur du inbound prend encore plus d’importance ici, le pull a beaucoup plus sa place que le push. C’est une belle opportunité, qui passe notamment par des stratégies d’envoi de courriels et de contenu pour rester top of mind. Misons sur le owned et earned, la loyauté et le nurturing. Ces approches feront une différence après la crise, plutôt que de miser sur des approches qui, au final, risquent de ne générer que des résultats en-deçà des attentes.
Sébastien : Nous allons avoir des baisses drastiques de trafic. Mais c’est peut-être le moment de faire encore plus du travail de « plomberie », tant sur son cycle profond qu’en termes de tagging, de création ou de mise à jour de contenu.
Nos prédictions
Édouard : Au niveau des données, ce qui est intéressant, c’est l’anormalité de la situation. J’ai l’impression que ça permet de voir des choses qu’on n’aurait pas pu voir avant. Par exemple, la fermeture des magasins pendant deux semaines (ou plus) permettrait-elle de révéler des insights auparavant invisibles?
Sébastien : Il va peut-être y avoir moins de mobile, plus de desktop, ou encore l’essor de supports peu connus, Xbox ou PlayStation, par exemple. Les contenus consommés en déplacement vont drastiquement diminuer.
Mathieu : Il va falloir rester prudent avec la variation des données et prendre soin de ne pas les inclure dans les prédictions à long terme. Un truc intéressant serait de regarder les habitudes de consommation en comparant les données avant et après la crise.
Édouard : Ma croyance fondamentale, par rapport à cette crise, c’est qu’il y aura un mince pourcentage de plus de consommateurs en ligne au Québec, probablement concentrés au sein des générations plus matures. Ce mode de consommation allait à l’encontre de leurs habitudes, mais puisqu’ils n’ont pas le choix, ils se rendent compte que ce n’est pas si mal, en fait.
Nicolas : On parlait des diverses manières, pour une entreprise, de profiter de la situation pour améliorer son image. Jusqu’à maintenant, l’un des plus beaux exemples que j’ai vu est celui d’éditeurs scolaires français, qui ont rendu disponibles, en ligne, leurs collections de livres destinés aux élèves du primaire, afin que les parents puissent poursuivre l’éducation de leurs enfants à la maison.
Èva : Je pense qu’on va voir de plus en plus d’entreprises qui modifient leur offre de service pour s’adapter à cette nouvelle réalité-là. Ça va vraiment distinguer les entreprises les plus agiles, qui sont à l’écoute de la réalité de leurs clients sans toutefois se montrer opportunistes. Ce sont elles qui survivront assurément.
Nos recommandations
Édouard : Les entreprises qui ont pris le temps de se structurer numériquement en bénéficient aujourd’hui. Maintenant, prenons un gestionnaire marketing. Qu’est-ce qu’on lui recommande?
Pascal-Philippe : Moi, je lui dirais : « Prépare un plan de défaite. Prépare un scénario de décroissance planifiée. » On a toujours des plans d’accélération, mais je vois rarement les plans de positionnement, de ralentissement, voire d’immobilisme, chez les marques. Ton CMO, il a sûrement déjà quinze idées pour retourner la situation. Ce dont tu veux être sûr, c’est qu’il a en tête ses positions de repli et ses points de non-retour. Il faut apprendre à perdre les bonnes batailles pour gagner la guerre.
Sébastien : Un peu comme un sous-marin, c’est de l’expérimentation. Tu lances une campagne comme tu balances un ping. Pendant une courte période, tu t’arrêtes, écoutes, observes les résultats, puis tu procèdes à une autre expérimentation. C’est du stop and go, ce que je faisais dans une autre vie dans le domaine militaire. On démarre, on écoute, on répète la boucle.
Édouard : Il faut accepter, en ce moment, qu’il y ait une nouvelle norme. C’est un peu dangereux de comparer ses résultats à ceux obtenus avant la crise. Comparer à l’avant, c’est s’assurer une déprime quotidienne. Mais en comparant ses résultats à du « comparable », c’est-à-dire aux semaines ou aux jours précédents, il y a moyen de constater de savoir si on tire ou non son épingle du jeu par rapport à la concurrence.
Mathieu : N’oubliez pas de procéder à une analyse en profondeur avec le maximum de personnes à l’interne, d’écouter les conseils de ses partenaires (ex: agence), mais de garder le centre des décisions stratégiques. Vous gagnerez tout à mettre en place un système de décision agile pour être réactif si la crise actuelle se poursuit ou si une autre devait se présenter.