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Doit-on centraliser ou décentraliser la gestion des données marketing?
1L’art de la gestion de projet2Un projet à succès commence par une bonne gouvernance3Cascade, agilité, demandes de changement?

Doit-on centraliser ou décentraliser la gestion des données marketing?

  • Niveau Technique

Depuis quelques années, je reçois une question récurrente à propos de la gestion et de l’exploitation des données numériques et marketing :

Est ce que la gestion des données marketing doit être décentralisée ou centralisée (équipe BI/TI vs équipe marketing)?

Avant d’entamer cette discussion, il faut rappeler que le débat opposant la centralisation à la décentralisation a toujours existé. Les géants du numérique (Netflix était le précurseur) ont noté, avec le temps, que l’adoption d’une architecture décentralisée (microservices), de nature plus flexible,  leur permettait d’accélérer le temps de développement de leurs produits et de leurs applications numériques, mais aussi de favoriser l’innovation à l’interne. 

Les architectures de microservices sont caractérisées par des modules (services) indépendants qui peuvent fonctionner de façon autonome, souvent développés par des équipes de petite taille. À l’opposé, les architectures monolithiques sont, quant à elles, plus rigides. 

Les graphiques suivants illustrent bien la différence structurelle entre ces deux types d’architectures.

 

Représentation d’une architecture monolithique

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Représentation d’une architecture de microservices

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La conception dirigée par le domaine  (domain-driven design), une méthodologie de développement de logiciel, influence fortement les architectures de microservices. En effet, cette dernière modélise un domaine d’affaires qui définit ensuite l’envergure logique du service à concevoir. 

À titre d’exemple, si la gestion des commandes est un domaine ciblé, un microservice consacré à leur gestion automatisée  (créer, modifier ou annuler une commande) peut être développé. Le service n’offrira toutefois pas de fonctionnalités liées aux paiements, car la gestion de ces transactions  représente un domaine différent, indépendant de celui des commandes. 

Au niveau organisationnel, ceci peut se traduire par le recours à des équipes techniques décentralisées de petite taille, dont le but premier est de produire des services de qualité dans un domaine d’affaires précis. 

Il est important de comprendre que les domaines communiquent tout de même entre eux, sans quoi il serait impossible pour une entreprise de présenter un produit homogène. En effet, peu importe le nombre de domaines qui composent ce type d’architecture, sa complexité est invisible aux yeux de l’utilisateur final.

 

Le Data Mesh

Le Data Mesh est un nouveau modèle inspiré à la fois des architectures microservices et de la conception dirigée par domaine, qui ont permis à beaucoup d’entreprises technologiques de grandir très rapidement . Il préconise une  gestion des données décentralisée,  organisée par domaine d’affaires. 

Le principal objectif du Data Mesh est la réduction du temps s’écoulant entre la collecte et la valorisation des données (le laps de temps entre l’insight et l’activation). Autrement dit, il vise la réduction de la distance séparant les données opérationnelles et analytiques.

Data producerdata owner et data consumer sont des termes très importants dans ce modèle. Le data producer (producteur des données) est celui qui génère les données, le data owner (propriétaire des données) est celui à qui appartiennent les données émises ou produites, alors que le data consumer (le consommateur des données) est l’utilisatrice ou l’utilisateur. Le concept du Data mesh est de décentraliser la gestion des données vers le Data owner, qui est parfois le Data producer et un des Data consumers. En d’autres termes, il préconise le développement d’un écosystème de données qui supporte ces différents rôles.

Le Data Mesh est souvent une composante d’une stratégie de données, car sa mise en place nécessite une culture, des processus, des talents, de la technologie et donc, au final, des investissements.

Les fondements du Data Mesh 

Le Data Mesh est une architecture qui se fonde sur quatre principes fondamentaux, que voici :

1. Les données doivent appartenir à un domaine d’affaires précis et être gérées au sein de ce dernier 

Dans ce modèle, les données doivent résider dans leur domaine d’affaires. Le domaine (opérations, clients, marketing, finances, ressources humaines, produit) est ainsi le propriétaire principal de ces données et par conséquent, responsable de leur processus de valorisation.

2. Les données y sont traitées comme un produit 

Chaque domaine a la responsabilité de développer des « produits » de données de qualité permettant aux autres domaines de les découvrir, de les comprendre et de les utiliser facilement ; autrement dit, d’en faire des données consommables. 

3. L’infrastructure doit être conçue en mode « libre-service » 

Pour pouvoir construire et déployer ce genre de modèle, il faut disposer d’outils en libre-service. Ceux-ci permettent de dissimuler la complexité du processus de conception des produits de données.

4. La gouvernance doit être fédérée avec une gestion automatisée des politiques 

Grâce à des API, les « produits » des différents domaines pourront échanger des données entre eux. L’interopérabilité et la découvrabilité des données étant cruciales, il est impératif d’établir des règles globales et standardisées qui favoriseront la fluidité des échanges. Les gestionnaires de produits sont tenu·es de définir ces règles globalement et de veiller à leur application. L’adoption du Data Mesh implique une difficulté, celle de déterminer si les politiques et les standards identifiés  devront être centralisés ou décentralisés.

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Pourquoi en parle-t-on maintenant?

En 2022, avec l’accélération du virage numérique, de nombreuses organisations veulent s’orienter vers l’intelligence et les données. Autrement dit, les entreprises cherchent à valoriser rapidement leurs données pour soutenir leur croissance et réaliser leurs ambitions d’affaires. 

La réalité, c’est que les architectures de données traditionnelles ne peuvent pas répondre assez vite à un volume de demandes aussi important. De plus, les organisations abritent parfois des domaines qui utilisent des données volumineuses, complexes, diversifiées et changeantes (le domaine marketing, par exemple). Ainsi, les architectures traditionnelles s’avèrent souvent incapables d’amener les entreprises à atteindre leurs objectifs d’affaires aussi tôt qu’elles le souhaiteraient et l’incapacité d’une organisation à relever ces nouveaux défis peut entraîner un impact négatif sur son avantage stratégique. 

C’est justement du désir et du besoin d’accélérer le processus de valorisation des données qu’est né le Data Mesh. 

La majorité des compagnies veulent utiliser leurs données pour améliorer l’expérience de leur clientèle, découvrir de nouvelles opportunités d’affaires, réduire leurs coûts d’opérations, aider leurs employé·es à prendre de meilleures décisions et partager leurs données avec des partenaires afin de valoriser l’offre de service finale.

L’ensemble de ces ambitions sont rarement atteignables sans une stratégie de données. Le Data Mesh doit être considéré sérieusement par les équipes de TI et d’intelligence d’affaires, car la vraie valeur de l’analytique est issue de l’activation des informations colligées. Les organisations capables de réduire le temps nécessaire à la valorisation des données sont celles qui vont pouvoir bénéficier d’un réel retour sur investissement sur leurs initiatives de données.

Par contre, si votre compagnie atteint déjà toutes ses cibles au niveau des données, l’utilisation du Data Mesh n’est pas nécessaire.

Selon l’évangeliste du Data Mesh, Zhamak Dehghani, les principales raisons motivant les entreprises à adopter ce modèle sont :

  • les attentes encore non satisfaites des entreprises face aux données
  • le volume, la diversité et la complexité des sources de données;
  • des cas d’utilisation de données évolutifs;
  • un contexte d’affaires changeant nécessitant souplesse et agilité;
  • la désillusion envers les modèles traditionnels  après des investissements en infrastructure de données infructueux, sans impact positif sur les résultats de l’entreprise. 

Si votre compagnie n’arrive pas, après plusieurs années, à valoriser ses données, il pourrait être intéressant d’entamer une réflexion sur cette nouvelle philosophie de gestion des données, surtout si votre entreprise utilise déjà des architectures microservices dans ses opérations.

Les données marketing, de bonnes candidates pour le Data Mesh

Le domaine marketing semble être un bon candidat pour appliquer le concept de Data Mesh. Les données marketing sont généralement volumineuses et diverses, à titre d’exemple elles comprennent des données publicitaires (Google Ads, Facebook Ads), comportementales web et mobile (Google Analytics, Adobe Analytics), attitudinales (sondages) et financières (revenus et profits par client ou produit).

Elles sont changeantes (surtout au niveau numérique) car beaucoup de données marketing sont tributaires de la plateforme d’origine qui les produit. Google génère des données de ses plateformes publicitaires, il en est de même pour Facebook ou Salesforce. La compréhension de ces dernières est liée aux plateformes d’origine. Les métriques présentes dans les plateformes ne sont pas standardisées (dans la manière dont elles sont calculées) donc souvent incomparables entre elles.

En marketing numérique, le passage de l’information à l’action est crucial. Le but final d’une initiative numérique est souvent l’optimisation de l’expérience client ou de campagnes marketing et publicitaires.

Le domaine des TI a souvent du mal à comprendre ce type de données n’étant pas propriétaire ni consommateur. Ceci peut engendrer des délais dans la mise en place de stratégies visant à valoriser les données marketing.

L’intégration du Data Mesh au niveau du marketing implique une clarification des responsabilités. Par conséquent le marketing doit être le seul responsable et propriétaire des données générées par son domaine. Afin de pouvoir consommer ces données, le marketing doit les traiter comme un produit, c’est-à-dire créer une solution qui permet de découvrir les données mais aussi pouvoir les utiliser facilement. La notion de produit implique des Service Level Agreement, communément appelé SLA, le département doit garantir un service minimum et un niveau de qualité satisfaisant pour les consommateurs finaux.

La création de produits de données ne peut pas se faire sans une infrastructure technologique fiable. À cet effet, quelques vendeurs tels que Google et Snowflake ont déjà mis en place des technologies pouvant supporter le modèle du Data Mesh.

Le département marketing doit faire partie d’une gouvernance fédérée des données d’entreprise. Il doit participer à l’établissement de règles et de politiques de gouvernance permettant une gestion saine des données dans tous les secteurs de l’entreprise, tout en préservant les spécificités du domaine marketing. La confidentialité, la protection, la qualité et l’accessibilité des données  sont les piliers d’une gouvernance saine.

J’espère que cet article a su éveiller votre curiosité et attirer votre attention vers le Data Mesh,un paradigme d’architecture des données récent qui s’attaque à un défi persistant et central à la science analytique : l’accélération du cycle de valorisation des données.