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La COVID-19 fait bondir le commerce électronique de 118% au Québec
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La COVID-19 fait bondir le commerce électronique de 118% au Québec

  • Niveau Technique

 

  • L’équipe analytique et science des données d’Adviso a conduit une étude afin d'observer l’impact de la crise COVID-19 sur le comportement en ligne des consommateurs québécois. 

  • Nos résultats démontrent une croissance anormalement importante au niveau des transactions e-commerce. Il s’agit d’une croissance de 118% comparativement à la même période en 2019. 

  • Les données prédictives disponibles nous permettent de croire à une stabilisation de cette croissance.

 

La COVID-19 bouleverse actuellement le monde entier tant au niveau de la santé que de l’économie. Les mesures prises à l’échelle planétaire, telles que la distanciation sociale et la fermeture des entreprises non essentielles, ont rapidement changé nos habitudes de vie et de façon radicale. 

Le mode d’achat des consommateurs est parmi les comportements les plus transformés. Avec l’accès limité aux zones de magasinage physique, et le potentiel danger de sortir dans le monde extérieur, le commerce électronique est devenu l’alternative de choix. 

Depuis le début de la crise, les médias rapportent que les ventes des géants du commerce électronique, comme Amazon et Ebay, connaissent une croissance fulgurante, particulièrement depuis les dernières semaines. D’ailleurs, Amazon a récemment annoncé l’ouverture de 100 000 postes aux États-unis, dans un effort de répondre à la demande extrême que génère la pandémie. 

Est-ce que cette croissance de l’achat en ligne est le cas pour l’ensemble des entreprises, incluant celles qui ont des réseaux de distribution physique? On se doute que la réponse soit probablement oui. Mais pour le moment, il existe encore peu d’analyses ou d’études empiriques à grande échelle sur la question.

Une étude a récemment été conduite par le groupe WITHIN afin de recenser l’activité e-commerce d’un échantillon anonyme de leurs clients aux É-U. L’analyse s’est penchée sur le changement des revenus en ligne et du taux de conversion de différents secteurs d’activités en février et mars, comparant les données de 2020 et 2019. Étonnement, les résultats ont démontré une tendance contraire à celle suggérée par Amazon et Ebay. En effet, l’analyse a révélé une baisse importante des revenus et du taux de conversion, tant pour leurs clients ayant une distribution en magasins que pour ceux uniquement en ligne. Il est possible que les résultats aient été influencés par la baisse de consommation de certains produits à cause des mesures d’isolation. L’étude a également indiqué une baisse importante des investissements média numériques des entreprises américaines depuis le début de la crise. 

Une autre analyse, cette fois conduite par ChannelAdvisor, s’est intéressée au changement de comportement par catégorie de consommation au niveau du GMV (Gross Marketplace Value). Malheureusement, les résultats de cette analyse sont peu révélateurs quant aux impacts de la pandémie sur la consommation en ligne au sens large. Il s’agit également d’une analyse centrée sur les États-unis seulement. 

Par conséquent, les réponses au sujet de l’impact du COVID-19 sur le e-commerce québécois étant manquantes et les résultats de différentes sources (principalement américaines) étant divergents, l’équipe analytique et science des données d’Adviso s’est lancé une mission: analyser le comportement e-commerce des consommateurs québécois grâce aux données de nos propres clients dans Google Analytics. Nous avons constitué un échantillon regroupant plus d’une vingtaine de marques québécoises. La question scientifique soulevée par l’analyse était la suivante: La COVID-19 a-t-elle fait exploser le e-commerce au Québec? Si oui, quel est l’ordre de grandeur de l’impact?

 

Les sources de données

Les comptes Google Analytics servant à cette étude ont délibérément été choisis afin de bâtir un échantillon hétérogène d’industries œuvrant dans le commerce de détail, en excluant celles du tourisme et du voyage. Dans le choix des comptes analysés, le but était de neutraliser le plus possible le biais naturel des entreprises offrant des biens essentiels, qui pourraient trop fortement influencer les résultats. Par conséquent, tout en gardant les compagnies de produits et services essentiels dans les données, on s’avère à diminuer le bruit dans l’analyse. Sans dévoiler les industries, par soucis d’anonymat, ces comptes ont été sélectionnés de façon à bien équilibrer le poids de chaque industrie dans l’étude. 

L’objectif était d’analyser le comportement e-commerce des consommateurs québécois au travers de l’ensemble de leurs habitudes de consommation.

Afin de mettre en lumière ce potentiel changement de comportement, nous avons délibérément exclue de l’analyse les entreprises étant déjà 100% en ligne. Les critères de sélection étaient les suivants:

  1. L’entreprise doit posséder un canal physique de distribution;
  2. L’entreprise doit avoir une capacité de transaction en ligne sur son site web. 

Le dernier critère a été sujet à une confluence statistique. C’est-à-dire que l’échantillon que nous avons sélectionné proposait un bon équilibre entre les entreprises dépendant uniquement ou partiellement de points de distribution partenaires externes (ex: Walmart) et celles ayant des points de ventes propriétaires (ex: une entreprise ayant ses propres magasins). 

Dans cette étude, la période analysée comprend les 82 premiers jours de l’année 2020 à partir du 1er janvier, et est comparée à la même période en 2019. Les principales métriques utilisées sont le volume de transactions journalières et le volume de sessions journalières.

 

Les résultats de l’analyse

Nous voulions observer si, au moment de l’annonce de la fermeture des écoles au Québec, des changements anormaux dans les activités d’achat en ligne se manifesteraient. Si oui, est-ce que ces changements s’avèreraient mathématiquement significatifs en comparaison à l’année précédente pour la même période? 

Selon nos calculs, il est effectivement possible de constater un changement de comportement important au niveau des transactions en ligne.

Transactions-en-ligne-2020-vs-2019

 

Nous pouvons également observer un changement assez important, mais relativement moindre, au niveau du volume de sessions sur l’ensemble des sites de l’échantillon. 

 

Sessions-2020-vs-2019

Nous avons également constaté que la distribution séquentielle est très similaire pour les deux transformations, soient la moyenne géométrique et le ratio moyen journalier. Selon l’analyse alternative du ratio, l’effet de changement est prononcé pour les transactions, mais moins accentué au niveau du volume de sessions.

Transactions-en-ligne-et-sessions-2020-vs-2019

Hypothétiquement, il est possible qu’un bon nombre de consommateurs ayant l’habitude de visiter le site web des entreprises de l’échantillon le faisaient en mode pré-magasinage en lieu physique. Mais avec la nouvelle situation, ces mêmes consommateurs ont peut-être décidé d’effectuer leurs achats directement sur le site transactionnel, par mesure de distanciation sociale.

 

Interprétation des résultats de l’analyse

Tous nos calculs permettent de donner la réponse suivante à notre question initiale: La pandémie actuelle du COVID-19 a effectivement fait exploser le e-commerce au Québec! Plus spécifiquement, on parle d’une augmentation de 118% par rapport aux transactions en ligne de l’an passé sur la même période. 

Croissance-moyenne-des-transactions-en-ligne-2020-vs-2019

Grâce à la différence remarquée pour les sessions et les transactions sur les sites de l’échantillon, nous pouvons constater que la consommation en ligne pour cette période a définitivement augmenté à un rythme constant, et important. Ceci est particulièrement vrai suite à l’annonce des fermetures des écoles au Québec le 13 mars dernier. On peut également observer que les consommateurs augmentent probablement aussi le nombre de transactions par individu avec une accélération positive. Cela signifie que le nombre de transactions par utilisateur augmente plus vite (par rapport à 2019) après la fermeture des écoles qu’avant. Additionnellement, comme le nombre de transactions augmente plus vite que le nombre de sessions, cela peut signifier qu’une part croissante des sessions inclut plus d’une transaction.

Bien entendu, nous poursuivrons l’observation du comportement e-commerce des consommateurs québécois dans les prochaines semaines afin de dresser un portrait plus exhaustif de la tendance lourde. Il est probable que nous atteignons un point d’inflexion dans la courbe du nombre de transactions et cela se traduirait par une accélération moyenne négative.

Somme toute, il est important, et très intéressant, de noter que cette croissance agressive du e-commerce a été observée sur l’ensemble des sites faisant partie de l’étude, tant pour les produits et services essentiels que non-essentiels.

En fonction des grandes perturbations économiques causées par la pandémie, il faudra s’attendre à ce que les commerces de produits et services non-essentiels témoignent d’une perte de vélocité dans le temps, tandis que ceux répondant aux besoins essentiels risquent de voir la courbe s’accélérer.

Dans une analyse ultérieure, l’équipe analytique et science des données d’Adviso produira d’autres articles à ce sujet afin d’observer l’évolution réelle des résultats. Vous pouvez vous inscrire à notre infolettre pour recevoir les mises à jour. 

 

L’explosion e-commerce va-t-elle continuer après la pandémie?

Cette étude est le reflet d’un nombre limité d’entreprises et des analyse plus exhaustives seront requises pour dresser un réel bilan des transformations e-commerce au Québec. Nos données préliminaires  nous indiquent que cette croissance observée du commerce électronique va se stabiliser. Si ces chiffres représentent une tendance globale au niveau du comportement d’achat des québécois durant la pandémie, une question se pose: combien de temps est-ce que ça va perdurer? 

Pour l’instant, il n’est pas possible de répondre scientifiquement à cette question. Toutefois, il est facile d’imaginer que la pandémie de la COVID-19 pourrait laisser des traces indélébiles dans notre société. Si cela vous intéresse, nous avons récemment tenu une table ronde virtuelle à ce sujet

Plusieurs observateurs croient que le commerce électronique et le marketing numérique, tout comme le télétravail, risquent de devenir des tendances plus répandues, même lorsque cette crise sanitaire sera chose du passé. 

Ceci dit, à l’heure, les entreprises qui peuvent faire un virage numérique, surtout celles qui ont tardé à le faire, ont tout intérêt à agir rapidement. La distanciation sociale qui permet de sauver des vies, ça passe aussi par la démocratisation du commerce électronique.  

 

Détails sur l’approche mathématique de notre analyse

Avertissement : Cette section est destinée à des fins d’explications méthodologiques et scientifiques. Si vous n’êtes pas familier avec ces concepts mathématiques, vous pouvez passer cette section.

Les données étudiées ont été agrégées et transformées de deux façons complémentaires, afin de valider l’effet en utilisant plus d’une approche. D’une part, afin de normaliser les volumes de sessions et les volumes de transactions très hétérogènes entre les différentes entreprises de l’échantillon, nous avons calculé leur moyenne géométrique respective (plutôt que leur moyenne arithmétique standard qui n’aurait pas tenu compte des proportions extrêmes). 

Moyenne-géométrique

D’autre part, pour chacune des deux métriques mentionnées plus haut, une moyenne arithmétique du ratio journalier de chaque entreprise a été calculée pour la période de 82 jours. 

Ainsi, nous pouvions contre-valider les résultats de la moyenne géométrique en fonction de l’amplitude proportionnelle de l’activité journalière sur l’ensemble des entreprises, tout en contournant le problème d’hétérogénéité des volumes. 

Ensuite, une fois les données transformées pour chaque année de référence sur l’ensemble de l’échantillon, une analyse séquentielle (time-series) a été menée à l’aide d’une approche standard de calcul par facteur de croissance, ainsi que la mesure d’accélération de la croissance ou décroissance de l’activité e-commerce générale. Finalement, la dérivée seconde, soit la dérivée de la dérivée d’une fonction, a été mesurée pour mieux comprendre l’accélération instantanée de l’activité e-commerce, c’est-à-dire la vitesse à laquelle la vélocité des ventes en ligne a changé par rapport au temps. C’est ce qui correspond à la concavité du système. Le second dérivé s’exprime selon la notation mathématique standard suivante:

 

Détails sur la prédiction de la stabilisation de la croissance

Afin d’évaluer l’ampleur du changement, le calcul de la dérivée seconde permet de prédire, dans une certaine mesure, si la tendance continuera de croître, en évaluant si l’augmentation de la vitesse des transactions et sessions est positive, nulle ou négative. À partir des graphiques ci-dessous, on observe qu’au début de la période de l’étude, le changement du nombre de sessions en fonction du temps S (t) a connu une augmentation importante, et que l’accélération était positive à ce moment, c’est-à-dire Gs = S'(t) > 0 (croissance) et as = S”(t) > 0.

Cependant, après un certain temps, le taux de changement devient stable, ce qui peut être détecté dans la tendance de l’accélération moyenne. Le fait de détecter que as ~ 0 signifie que l’on observe bien une croissance, mais à taux constant.

Par contre, si on concentre l’analyse sur le changement de comportement des transactions en fonction du temps T (t), on constate qu’elles ont connu une croissance encore plus significative à la fin de la période d’étude, et, en général, elles montrent une moyenne positive croissante sur toute la période d’étude. Gt = T ‘(t) > 0. Ce comportement est également observé dans l’analyse de l’accélération des transactions dans le temps. On peut observer que la moyenne est = T ‘ ‘ (t) > 0 sur la période d’étude.

Sur la base des transactions, compte tenu de la moyenne géométrique, l’accélération est d’environ 55, ce qui signifie que la croissance de la base des transactions est d’environ 55%. En ce qui a trait à la mesure du ratio, l’accélération est d’environ 44%. Pour les session, si on examine les calculs en base l’accélération est considérablement plus faible et tombe à 22% en base de la moyenne géométrique et 19% en base du rapport au ratio. 

En observant le facteur de croissance et la dérivée seconde des transactions et des sessions, la présence d’un changement anormal se confirme. De plus, on arrive à prédire avec circonspection que la croissance soudaine se stabilise en fin de période, mais reste anormalement élevée, spécifiquement au niveau des transactions.

Facteur-de-croissance-et-accélération-des-transactions-et-sessions