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Le « content blocking » est la meilleure chose qui ait pu arriver au marketing numérique

Rédigé par Adviso | 17 nov. 2015 00:00:00
Cette année, Apple créé une onde de choc dans l’industrie de la publicité en ligne. Même si les content blockers (un nouveau type d’applications dans iOS 9 qui permet de bloquer des contenus dans Safari Mobile, par exemple des pubs) ne dominent plus les palmarès dans le App Store (Crystal, l’application la plus populaire est rendue 634e dans le App Store américain), cette annonce semble marquer un point tournant pour l’industrie.

 

À la mi-octobre, l’IAB (Internet Advertising Bureau) a cru bon de repenser sa position sur le blocage de contenus, qui était jusqu’alors tout simplement une opposition farouche. Leur vision a changé : « We messed up ». Selon le vice-président des technologies, les publicitaires et les compagnies de ad tech ont oublié l’élément le plus important d’Internet : la confiance et la satisfaction des utilisateurs. Et, en guise de réparation, l’IAB a annoncé un nouveau programme pour développer des standards qui seraient plus respectueux de l’expérience de l’utilisateur, les L.E.A.N. ads (acronyme pour Light, Encrypted, Ad Choice Supported, Non-invasive ads).

Peu de temps après, Google a annoncé en grande pompe une nouvelle technologie qui lui permettra d’offrir une expérience de navigation sur le Web aussi rapide que dans des applications natives : les Accelerated Mobile Pages. Cette annonce se veut à la fois une réponse aux Instant Articles de Facebook, à Apple News et aux problèmes de performance qui motivent plusieurs utilisateurs à installer un bloqueur publicitaire, plus précisément la piètre qualité de l’expérience mobile tant au niveau de la vitesse de chargement qu’au niveau du respect de l’expérience utilisateur.

Bien que ces initiatives s’attaquent aux causes principales du blocage de contenu, il n’est pas encore assuré qu’elles réduiront considérablement l’adoption de ces outils par les utilisateurs du Web, surtout les segments les plus lucratifs (plus scolarisés, mieux nantis, etc.). Certains évaluent à 11 % la perte de revenus liée à l’utilisation des content blockers.  Considérant que pour le « fat middle » – ces publications de taille moyenne avec de larges équipes éditoriales -, une perte de revenus même modérée peut constituer un arrêt de mort, on peut s’attendre à ce que les publicitaires et les éditeurs revoient leurs pratiques pour s’assurer de capter un maximum de revenus.

Des marchés plus restreints, mais de meilleure qualité

Le principal effet des content blockers est de stopper l’exécution de scripts et le téléchargement de ressources provenant de tiers (par exemple, les réseaux ou les serveurs publicitaires). Ce faisant, ces filtres amputent la capacité des annonceurs de créer et de rejoindre des audiences à travers la toile.

Même si les médias ne sont plus capables de monétiser leur trafic par l’entremise des réseaux publicitaires, il est hautement improbable que la publicité disparaisse des médias en ligne. Il faut plutôt s’attendre à des changements majeurs dans l’achat et la livraison des publicités, nommément que les éditeurs jouent un rôle de plus en plus important dans la création des audiences et la livraison des annonces.

Pour contrecarrer l’effet des bloqueurs de contenus tiers, les médias accéléreront leur adoption de contenus natifs. De plus, ils développeront leur capacité à analyser le comportement de leurs visiteurs et à construire des audiences pour ne plus seulement exiger un Premium lorsqu’une publicité est présentée dans une section, mais aussi lorsqu’elle est suggérée à un individu particulier. En somme, ils devront adopter une stratégie similaire à celle de Facebook : la création de formats et de placements publicitaires spécifiques qui seront livrés à une audience très précise.

Le principal problème des formats natifs est qu’il est difficile d’automatiser l’achat de placements à travers la toile, mais il devrait être contre-balancé par une meilleure qualité du ciblage. Je ne pense pas que ce type d’achat disparaitra, mais que c’est surtout le mode de livraison qui sera différent : ces publicités ne seront plus livrées directement sur une page par un ad server, mais plutôt soumises au CMS du partenaire qui l’affichera à la bonne personne, au bon moment.

Ces « prédictions » peuvent sembler être lointaines, mais déjà, certains éditeurs importants comme Vox (propriétaire de The Verge, Re/code, Vox.com et d’un ensemble de propriétés Web d’importance) ont annoncé qu’ils cesseraient de vendre des publicités programmatiques selon le modèle actuel et sont à la recherche d’un nouveau modèle.   

Le modèle traditionnel de l’achat programmatique

 

Le nouveau modèle (sans tierce partie)

Il faut bien s’entendre : cette alternative est loin d’être une panacée, parce que la disparition – ou du moins l’efficacité réduite – des services de création d’audience par une source unique de livraison de témoins (par exemple, les réseaux publicitaires) va rendre l’acquisition de visiteurs qualifiés plus difficile. En somme, comme les éditeurs seront les mieux placés pour suivre le comportement des visiteurs et mettre des témoins sur les appareils de leurs visiteurs, au lieu de se connecter à quelques services présents partout, il faudra plutôt se connecter à des centaines (voir des milliers) de sites d’intérêt.

Pour contrer cette fragmentation et avoir tout de même un bon contrôle sur son audience, deux outils seront nécessaires :

À court terme, le degré de sophistication nécessaire afin de mettre en place ce type d’échange réduira considérablement la quantité de l’inventaire disponible sur les marchés. Cependant, cette réduction de la taille de l’inventaire devrait heureusement être accompagnée d’un accroissement de sa qualité.

Une pression accrue pour identifier les « vrais » KPIs

Le principal problème avec l’accroissement du rôle des éditeurs dans la livraison des publicités est la fraude, c’est-à-dire que les éditeurs pourraient rapporter des nombres plus élevés que la réalité ou compter des impressions pour des publicités qui ne sont pas visibles à l’écran. Ce problème est encore très présent aujourd’hui alors que l’on utilise des systèmes d’arbitrage comme les serveurs publicitaires et les échanges. On peut donc s’attendre à ce que l’équilibre précaire qui existe en ce moment s’effondre complètement lorsque ces mesures seront bloquées.

Pour les campagnes de notoriété, cette situation risque de se concrétiser. Cependant, les campagnes de performance pourront éviter cet écueil en changeant la manière d’évaluer le succès de leurs campagnes, entre autres en se rapprochant de l’objectif d’acquisition réel. Ainsi, on mesurera les visites et la qualité du ciblage (notamment grâce au cookie matching mentionné précédemment) plutôt que le nombre d’impressions et les view-throughs.

Ces changements bénéficieront à l’ensemble des joueurs de cet écosystème parce qu’ils requièrent une meilleure compréhension des objectifs de chaque partie, et parce qu’ils permettent de sélectionner des tactiques qui offrent le plus de valeur à toutes les parties :

  • Les publications pourront être mieux monétisées, puisque les éditeurs auront été forcés à mieux comprendre leur public. Ils pourront également choisir avec plus de discernement à qui ils offrent leur inventaire.
  • Les annonceurs pourront cibler des audiences plus précises et devraient avoir plus de facilité à monétiser le trafic. De plus, les « first-party data » récoltées sur les visiteurs seront bien plus pertinentes et utiles.
  • Comme il sera plus difficile de se faire suivre à travers la toile, les publications devront offrir de bonnes raisons aux visiteurs pour qu’ils divulguent des informations nominatives, comme une adresse courriel. On peut donc s’attendre à ce que plus d’efforts soient mis pour optimiser l’expérience de navigation et de personnalisation lorsque les éditeurs commenceront à prioriser la loyauté de leur audience plutôt que la quantité du trafic.

En somme, la difficulté à créer des audiences vastes et vagues force l’ensemble des joueurs à créer des audiences « réelles » basées sur des identifiants plutôt que sur des cookies, et à optimiser les campagnes en fonctions d’objectifs concrets (des achats ou des soumissions) plutôt qu’en fonction de métriques propres à un mode de livraison (comme les impressions). Ce qui, en soit, ne peut être que bénéfique pour les utilisateurs du Web.   

L’expérience client comme nouvelle source de croissance

Sans surprise, la réduction du nombre de joueurs et l’accroissement de la qualité de l’audience entraînera une augmentation du coût d’acquisition d’un utilisateur, autant pour les tactiques programmatiques et Premium que pour le Search ou les publicités natives, puisque la réallocation des budgets programmatiques vers ces tactiques fera aussi augmenter le prix.

Dans un tel contexte, il deviendra de plus en plus nécessaire pour les annonceurs de voir comment optimiser l’impact de chaque dollar investi. Ils devront notamment concentrer leurs efforts sur des canaux sur lesquels les marques peuvent exercer plus de contrôle sur leurs propriétés (le courriel, les sites et applications mobiles – le owned) et leurs communautés (le earned). Et, comme il sera moins dispendieux de transformer ses clients actuels en ambassadeurs que de payer pour en acquérir des nouveaux, il faudra investir plus d’efforts afin de mieux comprendre et servir ses clients actuels.

La clé de cette approche est de reconnaître que la satisfaction des clients ne repose pas que sur le fait de leur offrir des rabais ou des promotions, mais qu’il faut plutôt miser sur une offre en adéquation avec les désirs des différents segments de clients. Ainsi, il est important de restructurer son offre afin de maximiser la satisfaction des clients et leur profitabilité pour l’entreprise.

Voici un exemple. Pour certains clients d’une organisation, disons les Grand Ballets Canadiens, le mot ballet est un synonyme de sortie. Cette organisation pourrait alors conclure un partenariat avec des restaurants ou des événements, par exemple Montréal à Table, pour offrir des forfaits Soirée. Si le ballet est plutôt une passion que les clients aiment partager, l’organisation pourrait offrir de meilleures places lorsqu’un membre invite des amis qui n’ont jamais assisté à un ballet. Et si c’est l’aspect artistique qui intéresse les clients, elle pourrait partager de courtes vidéos ou des textes pertinents à ses abonnés.

Bref, l’idée est de déployer un ensemble de tactiques qui offrent de la valeur à ses clients pour les retenir, faire augmenter leur consommation actuelle ou les inciter à introduire de nouvelles personnes aux offres qui leur sont présentées.

Une offre segmentée

Le hic, c’est que pour être en mesure de déployer correctement ce type de stratégie, une marque doit connaître ses clients et leurs besoins. Elle doit savoir quels sont les éléments clés qui créent une expérience positive et utiliser différentes approches pour convertir ces clients et les retenir. Cela suppose que l’on commence à penser en termes de gestion de clientèle (qu’est-ce que mes clients aiment?) plutôt qu’en gestion d’audience (par exemple, les couples dans la cinquantaine avec un revenu familial de plus de 150 000 $ par année sont susceptibles d’acheter des billets pour le ballet…).

Actuellement, les approches ne sont pas encore alignées vers cet objectif. Tant les marques que leurs partenaires devront ajuster leurs pratiques pour mieux gérer cette nouvelle réalité.

Développer une feuille de route vers la gestion de son audience

Pour effectuer cette transition correctement, une marque doit maitriser deux composantes importantes :

  1. Technologie
  2. Marketing

Tel que mentionné précédemment, le content blocking réduit l’efficacité des réseaux et des serveurs publicitaires à créer des audiences. Il ne sera donc plus possible de se fier à des tiers pour offrir des données de qualité rejoignant le public désiré.

Afin de pouvoir suivre et cibler correctement leur public, les marques devront développer ces capacités à l’interne. Une bonne maîtrise des technologies du marketing numérique (Analytics, CRM, DMP et serveurs publicitaires) et, surtout, leur interconnexion, est un prérequis à l’exécution de ce type de stratégie. Utiliser ces technologies en silo deviendra un luxe de plus en plus coûteux.

D’un point de vue marketing, il faudra ajuster son approche pour s’assurer de bien connaître ses clients, pas seulement selon des termes sociodémographiques (comme l’âge, le sexe, le lieu de résidence ou l’emploi), mais également en termes de besoins et de désirs. C’est-à-dire :

  • Savoir concrètement qui sont les clients les plus loyaux et pourquoi
  • Savoir d’où viennent les visiteurs et ce qu’ils veulent

En somme, une partie des énergies consacrées à identifier des corrélations (20 % de rabais augmente mes conversions de 25 % sur Facebook) devraient être mises à identifier ce qui fait réellement convertir un visiteur (« la mise en scène est superbe », le prix, etc.).

Cela passe en partie par la mise en place d’outils de mesure (qui nous permettent de savoir ce que ces visiteurs font), mais aussi plus simplement par des entrevues avec des consommateurs. C’est seulement une fois que des profils distincts auront été créés qu’il sera possible de comprendre l’importance de chaque segment au sein des audiences et de choisir comment les cibler. 

Les content blockers ont ébranlé le statu quo. Ils ont grandement réduit notre capacité à suivre et cibler automatiquement des utilisateurs d’Internet. Mais, en échange, ces outils nous forcent enfin à adopter une perspective réellement centrée sur les clients, au plus grand avantage de tous.